L’École française n’apprend pas à lire…

Depuis la publication des résultats de l’enquête internationale Pirls (4 décembre 2017), tout le monde a quelque chose à dire sur l’apprentissage de la lecture.

Qu’est-ce qui empêche les élèves français d’apprendre à lire ?

Cette étude concerne les élèves de CM1 en lecture et offre un large éventail de leurs compétences (de celles de base à celles de compréhension avancée). Parmi les cinquante pays étudiés, onze se sont améliorés et deux ont régressé dont la France et les Pays-Bas. Les élèves français ont de bons résultats pour les compétences de base, mais échouent pour la compréhension avancée. Ils savent déchiffrer, lire des textes, mais il y a de moins en moins de « bons lecteurs » : ceux qui peuvent extraire de textes des informations complexes (seulement 1 élève sur 25).

  • Pourquoi ?

Le temps d’étude ?

En France, 40 % des heures de cours (20 % en moyenne pour les pays de l’OCDE) sont consacrées à l’étude de la langue. Davantage d’heures consacrées au français, mais dans un temps scolaire journalier, hebdomadaire et annuel d’enseignement particulier. Depuis 2008, la semaine est réduite à 24 heures d’enseignement réparties sur quatre jours. Même si en 2013, la semaine de quatre jours et demi est remise en place, les élèves français n’ont que 162 jours d’école par an (le plus bas des pays de l’OCDE) pour un nombre d’heures de cours plus élevé que la moyenne, soit 864 h. Et le retour à quatre jours en 2018 diminuera encore ce nombre de jours d’école…

Les programmes ?

Beaucoup pensent que les programmes de notre école ne sont pas assez centrés sur les fondamentaux (lire, écrire, compter). Cependant, les enfants de CM1 en 2016 sont entrés à l’école maternelle en 2009 et ont bénéficié des programmes de 2008 qui justement privilégiaient l’empilement, année par année, de couches simples de fondamentaux. Les nouveaux programmes de 2016 décriés par certains n’ont pas encore eu d’effets…

Les méthodes de lecture ?

Beaucoup pensent que ce sont les méthodes d’apprentissage qui sont responsables de ces résultats, pas assez syllabiques, voire phonétiques. Ces personnes ont-elles bien lu les résultats de cette étude ? Au contraire, ils montrent que les petits Français ont bien les compétences de base : déchiffrement syllabique, lecture et compréhension de textes simples… mais n’ont guère la compréhension fine des textes pour en extraire les informations complexes.

Ce bon résultat dans les compétences de base n’étonne pas, car les méthodes de lecture en France sont en majorité syllabiques depuis très, très longtemps. Leurs textes qui servent de base à l’apprentissage sont « fabriqués » pour contenir les syllabes souhaitées et non pas pour solliciter la réflexion et encore moins le plaisir de lire.

En France, l’apprentissage de la lecture comme celui de toute l’étude de la langue se réduisent souvent à des techniques et à des exercices. L’école ne cherche pas à développer un environnement favorable à la lecture et à son inséparable, l’écriture : adultes qui lisent et aiment lire, présence de nombreux livres, narration d’histoires, qu’elle soit faite par un adulte ou un enfant, temps nombreux de lecture et d’écriture personnelle, fréquentation des bibliothèques, participation des parents… Tout ce qui procure plaisir et confiance : plus un enfant lit, mieux il lit, donc plus il lit, etc.

Il faudrait des temps et des espaces scolaires qui en tiennent compte, et ceci dans toutes les classes avant et après le CP, car la lecture et la compréhension de textes traversent toutes les disciplines et débordent largement les heures d’étude de la langue, mais les dernières mesures du ministre ne vont pas dans ce sens (développer la méthode syllabique, dictée quotidienne…).

Certains enfants ont un bon environnement de lecture dans leur famille, mais beaucoup d’autres n’en ont pas. Si l’école continue à ne pas en offrir, elle exclut un grand nombre d’élèves de l’expertise en lecture.

  • Les rÉponses du ministre de l’Éducation nationale

Monsieur Blanquer reste figé sur ses mesures : les CP et les CE1 à 12 élèves en REP+, des évaluations, une dictée quotidienne pour tous, une méthode de lecture syllabique validée par des chercheurs…

Imposer une méthode d’apprentissage est déjà en soi un déni d’éducation, réduisant l’acte d’enseigner à un simple geste d’exécution, à une somme de techniques et de recettes. Mais en plus, lorsque la méthode demandée enferme l’enfant dans le répétitif, la passivité, au détriment de son désir d’apprendre, de sa curiosité, de son enthousiasme… on peut penser que l’idéologie n’est pas loin.

En effet, préférer une méthode d’apprentissage de lecture où l’enfant est exécutant à une méthode où l’enfant est chercheur est un choix politique, celui d’empêcher de penser, d’ôter le désir de questionner, de comprendre, de savoir, d’imposer l’obéissance passive en contenant l’enfant dans des exercices répétitifs et mimétiques qui réduisent d’autant les temps de création et d’expression.

Ce n’est pas grave, entend-on, ces temps ne sont-ils pas accessibles hors de l’école ? Oui, bien sûr, mais ce sont les enfants des milieux favorisés qui sont gavés d’activités culturelles, artistiques, de visites au musée, de monuments… et qui peuvent articuler ce qu’ils apprennent à l’école avec le monde qu’ils visitent.

Et ceux qui n’ont que l’école pour comprendre le monde ? Ils sont nombreux, les enfants de milieux défavorisés qui n’ont pas accès à toutes les activités payantes sur le territoire. Même dans les villes qui proposent des activités à des tarifs proportionnels aux revenus, certaines familles ne s’autorisent pas, ne se sentent pas légitimes… et les enfants restent à la maison ou jouent dans la rue. Quant aux musées, monuments… ils sont encore moins accessibles (transports inexistants ou trop couteux).

Qu’importe ! Ce qui compte pour le ministre, c’est que tous les enfants des milieux populaires déchiffrent et qu’ils se repèrent dans les textes utilitaires comme les programmes de télévision, la publicité et autres messages utiles à la consommation. Pour eux quelques textes simples et quelques textes littéraires distribués – comme les fables de La Fontaine. Pour les autres enfants, pas de soucis, les bibliothèques familiales feront le reste !

Seuls ceux qui mériteront, qui auront de très bons résultats pourront rejoindre les lycées généraux et pourquoi pas les internats d’excellence que veut relancer le ministre…

Si dans les classes, les enfants sont réunis, sans mixité sociale, ce que peuvent rapporter et échanger les enfants de leur lecture du monde, de leurs expériences de vie, sera très réduit.

Les filières qui se développeront au collège au lycée dans les différents parcours souhaités par les mesures ministérielles prennent ainsi racine dans ces classes de l’éducation prioritaire.

Les enfants des CP de l’éducation prioritaire déchiffreront, ceux des écoles de centre-ville liront ! Du coup, au sein de l’école publique, cohabiteront toujours et encore plus deux jeunesses : une qui déchiffre le monde et une qui le lit.

  • Une autre mÉthode de lecture est possible

La méthode syllabique rassure sans doute l’opinion publique, la plus connue par les parents, elle existe depuis si longtemps… et en plus l’opposer à la méthode globale – ce fantôme qui hanterait les classes de CP – la rend incontournable.

Pourtant d’autres méthodes existent…

Apprendre à lire en lisant et en écrivant pour s’exprimer, pour communiquer, pour comprendre… tout en s’appropriant le code, les outils (syllabes, orthographe, grammaire…), c’est possible !

Ces méthodes s’appuient sur les besoins naturels de l’enfant : désir d’apprendre, communication, expression, compréhension… comme la « méthode naturelle de lecture-écriture » (MNLE) qui a été expérimentée par Célestin Freinet… il y a déjà 60 ans.

Catherine Chabrun

Une réponse à “L’École française n’apprend pas à lire…”

  1. J’irais même plus loin : c’est la compréhension qui est le moteur de l’apprentissage du déchiffrage, et non pas sa conséquence ! On apprend à lire parce qu’on veut comprendre, pas en faisant des gammes syllabiques… Et ça commence en maternelle, parce que les premiers pas dans l’apprentissage de la lecture déterminent à jamais l’attitude de lecteur, comme l’affirmait Jean-Paul Martinez il y a bien des années. Dans la pratique, on sait comment faire : https://youtu.be/CMf9vU_1RyI

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