Les auteurs de « fake news » ne sont pas toujours ceux qu’on croit.

Avec la loi, la chasse au « fake news » est ouverte. Il est clair qu’elles sont le fait d’individus malveillants qui trouvent des relais pour leur propagation parmi les barbares incultes qui peuplent nos banlieues. Et si les « fake news » étaient également le fait de très honorables intellectuels relayés par les plus honnêtes gens du monde ?

Prenons l’exemple des « techniciens de surface ». Cette qualification aurait remplacé celle de « balayeur », le « politiquement correct » interdisant une appellation méprisante à l’égard de pauvres bougres incapables de faire davantage que manier le balai. Alain Finkielkraut, élu depuis à l’Académie française, a beaucoup fait pour ridiculiser le « politiquement correct » avec cette anecdote.

Rappelons que le « politiquement correct » a été bâti aux USA en même temps que la "discrimination positive » (ou "affirmative action") qui imposait aux universités d’accueillir un quota d’étudiants issus des "minorités visibles", comme on dit de ce côté-ci de l’Atlantique. Il ne suffit pas qu’un noir puisse, légalement, entrer dans un amphi, encore faut-il qu’il ne soit pas accueilli par des cris du type « sale nègre », et que son voisin accepte de lui laisser un siège, voire de lui passer un polycopié. Le "politiquement correct » est un code moral qui réprime les actions que la loi ne peut réprimer, tant elles sont de l’ordre du petit geste quotidien. Contrairement aux « 10 commandements », il n’émane pas d’une instance divine ni d’une instance étatique si on pense au code pénal, c’est une construction de la société civile et c’est en cela qu’il est remarquable. C’est aussi pourquoi il est l’objet de tant d’attaques et de tentatives pour le discréditer.

Je paie des nèfles à toute personne qui produira un bulletin de salaire libellé au nom d’un « technicien de surface ». L’expression ne figure pas dans la convention collective de l’hygiène et de la propreté. Ni celle de balayeur d’ailleurs. Les agents de ces entreprises, souvent des femmes qui, très tôt le matin, nettoient les bureaux, ont en revanche de réelles compétences, ne serait-ce que pour distinguer le degré de confidentialité des papiers qu’elles trouvent dans les corbeilles et qui doivent, ou ne doivent pas, finir dans les poubelles, et pour doser des produits souvent dangereux. Elles (ils) doivent savoir faire une règle de trois, ce qui n’est pas le cas de tous les ministres.

A. Finkielkraut a également beaucoup fait pour nous faire croire qu’on ne devait plus dire « sourd » mais « mal entendant », ni « aveugle » mais « mal voyant ». Les instituts de jeunes sourds et de jeunes aveugles n’ont pas été débaptisés pour autant. Mais un amblyope n’est pas un aveugle, et des troubles de l’audition ne font pas nécessairement des sourds. J’invite ceux qui ne seraient pas convaincus à se reporter à la définition du CAPA-SH (Certificat d'aptitude professionnelle pour les aides spécialisées, les enseignements adaptés et la scolarisation des élèves en situation de handicap, remplacé l’an dernier par le CAPPEI). Un académicien devrait se féliciter de ce souci de précision du vocabulaire.

Autre « fake », l’étymologie de « éduquer » qui viendrait du latin « educere », «  conduire hors de » . C’est un argument souvent utilisé par les tenants d’une éducation qui se centrerait sur l’instruction, et qui se garderait bien de prendre en compte les conditions sociales et culturelles des élèves, car ce serait les « assigner à résidence » au lieu de les éduquer, de les conduire hors de leur condition. Je n’ignore pas que la question fait débat parmi les spécialistes de phonologie historique, mais la racine ducere a donné en français duire (dans conduire par exemple) et éduquer vient plus vraisemblablement du latin educare, prendre soin. Tout l’inverse. Ajoutons qu’on peut aussi s’étonner de la preuve par l’étymon, comme si la réalité de l’éducation était inscrite dans le ciel des idées.

J’ai conscience d’être déjà long, mais j’ajoute une autre « fake », qui vient non pas d’A. Finkielkraut mais d’un ancien doyen de l’inspection générale de philosophie, Jacques Muglioni. École viendrait, après quelques détours, du grec skolè qui signifie « le loisir », et l’institution scolaire devrait donc se tenir à distance du monde économique. Mais les loisirs des grecs du Vème siècle n'avaient pas grand chose à voir avec les nôtres, ni avec ceux des moines copistes du Moyen-âge. C’était aussi le temps où ils mettaient entre parenthèses leur qualité de citoyen, se dispensaient d’aller sur l’agora débattre des affaires de la Cité pour s’occuper de leurs affaires, vendre l’huile produite sur leurs terres, armer des navires de commerce, etc. Tout le contraire encore une fois.

L’École a, parmi ses responsabilités, l’éducation à l’esprit critique et se doit de donner à nos chères têtes blondes et brunes les moyens de résister aux « fake news ». Mais la crédulité est, avec le bon sens, la chose du monde la mieux partagée. Tout discours dénonçant la baisse du niveau ou les faiblesses intellectuelles de nos jeunes doit se doubler d’un examen de conscience de nos élites.

Pascal Bouchard

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