Que nous dit la réforme de l’enseignement professionnel ?

Priorité à l’enseignement professionnel, ou aux préoccupations économiques ?

Jean-Michel Blanquer affirme que l’enseignement professionnel est sa 2ème priorité, après l’école primaire (1). Mais ses discours, notamment lors de la conférence « Transformer le lycée professionnel » du 28 mai 2018, ne vont pas dans ce sens. Ce qui frappe dans ses prises de parole, c’est en effet l’émiettement des préoccupations sur l’enseignement professionnel au profit d’une omniprésence du vocabulaire de l’économie et des entreprises : le ministre parle d’être « au plus près des réalités constatées par le monde économique » (2), de « dialogue permanent avec les milieux économiques » (1), ou encore de « faire de l’investissement économique qui est utile socialement » et « de l’investissement social qui est utile économiquement » (2).

La réforme de la voie professionnelle prévoit ainsi un « travail en osmose plus forte avec les régions, avec le monde professionnel » (1), le ministre précisant que l’Education nationale aura son mot à dire, mais « sur les domaines qui la concernent » (2) : autant dire que, minoritaire face aux régions et aux partenaires du monde professionnel, la place de l’enseignement se trouvera fortement réduite.

Peu de place au doute : dans cette vision du lycée professionnel, il n’est pas question d’un parcours permettant une formation complète des jeunes et leur émancipation, mais bien plutôt d’un parcours qui satisfera les besoins et objectifs économiques du gouvernement et des entreprises, avec les jeunes comme opportune main d’œuvre. L’état d’esprit n’est pas le même.

Et l’enseignement général dans tout ça, et le français ?

Quant à l’enseignement général, il faudra attendre la 32ème minute de la conférence du ministre (sur 38 minutes !) pour que soit abordée la « complémentarité » entre enseignement professionnel et enseignements généraux. Et cela, avec l’exemple de l’enseignement du français rendu plus concret par la co-intervention avec « le professeur de cuisine » (sic) afin d’écrire un menu. Si ce genre de pratique pédagogique peut trouver son intérêt, il est vrai, dans le cadre de projets spécifiques avec les élèves, on aurait attendu, dans une conférence présentant la réforme du lycée professionnel, des propos plus en rapport avec l’enseignement de la littérature, les pratiques d’écriture pour penser le monde, la lecture comme accès à la culture mondiale et au plaisir des mots, par exemple. Les programmes de 2009 valorisaient à la fois écritures de travail et écritures créatives et cette réduction du travail des enseignants et des jeunes à l’écriture d’un menu montre bien le mépris d’un ministre pour qui l’enseignement du français, en voie professionnelle, n’aurait qu’un but utilitaire.

L’évacuation du contenu même des enseignements généraux va de pair avec le silence malhonnête du ministre quant à la diminution de leur volume horaire (3) : en bac professionnel, on passe de 380h de français, histoire-géographie et EMC à 267h (ou 297h avec les enseignements en co intervention). En mathématiques, on descend de 181h à 140 (ou 171) et en langues, de 349 à 265 (4). Si Jean-Michel Blanquer a annoncé, dans sa conférence, que le ministère « et les partenaires [allaient] revoir les diplômes dans le cadre des commissions professionnelles consultatives » et procèderaient « aux rénovations nécessaires pour répondre aux défis contemporains », on est en droit de se demander quelles en seront les conséquences sur les programmes et sur les finalités données aux enseignements généraux.

Avec une telle coupe dans les heures de français, quels choix effectuer ? Va-t-on supprimer des connaissances littéraires, artistiques, linguistiques ? S’agira-t-il de mettre l’accent sur la capacité à communiquer, au détriment du développement de l’esprit d’analyse et de critique personnelles ? L’étude de la langue prendra-t-elle le pas sur la réflexion sur la société et sur le monde ? L’ouverture artistique et culturelle devra-t-elle se plier aux préoccupations économiques mises en avant par les régions et les branches professionnelles ? La réforme cherchera-t-elle à former des jeunes capables de réfléchir, de prendre position sur le monde qui les entoure, tout en ayant une expertise professionnelle, ou cherchera-t-elle à former de simples exécutants ? Le ministre dit vouloir dépasser les clivages entre apprentissages professionnels et enseignements généraux. Il n’empêche que ses discours font à peine allusion à ces derniers…

Dans un parcours déjà contestable – et contesté – pour le peu de place laissé à la formation générale des jeunes, les orientations qui seront données et les choix qui seront effectués au cours de l’été seront donc très signifiants et appelleront toute notre vigilance …

Une vigilance qui sera amenée à durer et à se renforcer, puisque le ministre Blanquer annonce des « évolutions à venir à l’école primaire et au collège pour la revalorisation du travail manuel au quotidien, concret » (1) (5). De là à proposer des filières professionnelles dès le début du collège, il n’y a qu’un pas…

 

(1) Conférence du ministre de l’éducation nationale « Transformer le lycée professionnel » (28/05/2018)

(2) Interview de J.-M. Blanquer du 03/06/2018 sur BFM.

(3) N’oublions pas que cette baisse des heures d’enseignement aura pour répercussion la fermeture de postes d’enseignants. Dans son interview sur BFM, le ministre est très clair sur l’esprit économe de la réforme : « nous travaillons différemment pour avoir un meilleur résultat avec les moyens que nous avons ». Priorité au lycée professionnel, donc, mais pas dans le renflouement budgétaire.

(4) Source : le café pédagogique du 29/05/2018.

(5) Le 14 juin 2018, le CSE (Conseil supérieur de l’enseignement) a annoncé des « ajustements » sur les programmes du CP à la 3ème, qui seront présentés en juillet et applicables dès la rentrée 2018.

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