Des programmes ajustés

Après les quatre circulaires parues en avril 2018, personne ne peut être surpris par le contenu de ce projet d’ajustement des programmes élaboré par le nouveau Conseil supérieur des programmes pour répondre à la demande du ministre de « muscler » l'apprentissage des fondamentaux. Mais la procédure est étonnante : application dès la rentrée 2018 et temps très court laissé au Conseil supérieur de l’éducation qui se réunira mi-juillet. Quant à l'avis des enseignants, ce n'est pas un critère de choix !

Si les cycles rythment toujours ces nouveaux programmes, ils devraient être complétés par des « repères annuels » dans les semaines ou mois à venir… ce qui serait une manière de les mettre au placard.

Ces « ajustements » sont très précis aussi bien dans l’énumération des compétences et connaissances à faire acquérir par l’enseignant que dans les exemples de situations, d’activités et d’outils pour l’élève.

Serait-ce un nouvel espace de ressources pour un jeune enseignant ou pas… souvent peu ou pas formé qui va trouver là un véritable guide à suivre ? La lecture critique est difficile quand on n’a pas eu de formation pédagogique, de temps d’observation, de retours d’expérimentations…

Cette réécriture simple des programmes avec beaucoup de situations pédagogiques pourrait rassurer et satisfaire les enseignants.

Mais ces ajustements font douter de la « confiance » qu’accorde Jean-Michel Blanquer aux enseignants puisque il les réduit à des techniciens appliquant ses programmes au lieu de les considérer comme des praticiens réflexifs créateurs de situations pédagogiques.

 

Dans la lecture de ces programmes révisés, je me suis arrêtée sur la lecture, l’écriture et l’étude de la langue pour les cycles 2 et 3.

 

1. La lecture et l’écriture

 « Lecture et écriture sont deux activités intimement liées dont une pratique bien articulée consolide l’efficacité. » Une évidence, mais quelle « lecture » et quelle « écriture » ?

 

La lecture

« La première année, les élèves parviennent à un déchiffrage aisé et à une automatisation de l’identification des mots pour acquérir »

Un peu plus loin : « Au CP, les élèves pratiquent, de manière concentrée dans le temps, des activités sur le code de l’écrit dont ils ont eu une première expérience en GS. Il s’agit pour les élèves d’associer lettres ou groupes de lettres et sons, d’établir des correspondances entre graphèmes et phonèmes. L’apprentissage systématique de ces correspondances est progressivement automatisé à partir de phrases et de textes que les élèves sont capables de déchiffrer. Ces activités de lecture, menées conjointement aux activités d’écriture, doivent être régulières et structurées. Ce sont des « gammes » indispensables pour parvenir à l’automatisation de l'identification des mots à la fin de l’année. ».

Et après cette sensibilisation phonologique, l’enfant déchiffrera (on ne parle pas de lecture) des textes grâce aux correspondances lettres et sons. Il faudra qu’il s’entraîne beaucoup pour avoir une lecture fluide à voix haute, une aisance d’apparence qui ne s’occuperait guère du sens puisque c’est la recherche de l’automatisation et de l’identification des mots. La compréhension se fera progressivement : dès que l’enfant acquière aisance et fluidité en lecture, alors l’enseignant pourra s’assurer de la compréhension du texte lu. .

Si être un bon lecteur, c’est déchiffrer avec fluidité un texte avec expression si possible…voire le réciter et le théâtraliser, c’est bien la lecture à voix haute qui est visée, même si dans les « attendus » en fin de cycle 2, il y a « lire et comprendre des textes variés adaptés à la maturité et à la culture scolaire des élèves ». Cette expression « culture scolaire » m’interpelle, est-ce qu’on attendrait moins de certains enfants ? Selon que ton bagage culturel familial soit élevé ou pas ton bagage scolaire s’adaptera ! Un déterminisme inquiétant.

Les enfants sauront déchiffrer et comprendre des textes selon une progression bien définie. Pour certains élèves, les textes complexes leur seront proposés tardivement… tandis que d’autres y seront confrontés rapidement, en particulier ceux qui n’attendent pas l’école pour l’être…

Pour résumer : plus l’enfant lit vite, plus l’enseignant lui propose des textes longs et difficiles et plus il lit des textes longs et difficiles plus il lit avec fluidité. Mais moins l’enfant lit vite, moins on lui propose des textes longs et difficiles moins il lit avec fluidité… Ainsi, l’écart va se creuser d’année en année entre ceux qui déchiffrent même vite et ceux qui lisent tout et vite !

Et la lecture silencieuse, personnelle ?

Elle est toujours guidée par l'enseignant pour répondre aux besoins de la progression d'apprentissage, mais en fin de cycle 2 il sera consenti un temps de lecture libre aux enfants…

Pour avoir le droit de lire ce qu’on désire, ce qui plait, ce qui fait rêver… il aura fallu passer par toute une progression technique sur le code qui démarre en maternelle et risque d’éteindre le désir de lire voire d’apprendre à lire… et  aura enfermé certains enfants dans la lecture scolaire pendant que d'autres se sont aventurés dans de multiples lectures depuis longtemps chez eux.

« L’enjeu du cycle 3 est de former l'élève lecteur. À l’issue de ce cycle, tous les élèves doivent maîtriser une lecture orale et silencieuse fluide et suffisamment rapide pour continuer le travail de compréhension et d’interprétation. Le travail sur le code doit donc se poursuivre pour les élèves qui en auraient encore besoin, ainsi que l'entraînement à la lecture à haute voix et à la lecture silencieuse. »

Lire à voix haute avec fluidité (et dans toutes les disciplines) est toujours en tête des compétences avant la compréhension et l’autonomie de sa lecture.

 

L’écriture

 « Ayant commencé d’apprendre à écrire en cursive en grande section, ils complètent l’apprentissage du geste d’écriture non achevé et perfectionnent leurs acquis (sûreté et vitesse), automatisant progressivement le tracé normé des lettres. »

Toujours l’automatisation…

Puis, on lit : « Des tâches quotidiennes d’écriture sont proposées aux élèves : rédaction d’une phrase en réponse à une question, formulation d’une question, élaboration d'une portion de texte ou d'un texte entier. »

Cette phrase sera-t-elle rédigée par l’enfant une fois que l’étude des graphèmes aura été suffisante ? Avant, sera-t-il limité à la copie de lettres, de syllabes, de mots ou de phrases données par l’enseignant. Ce qui ne sera pas le cas pour les enfants qui ont des pratiques de lecture et d’écriture déjà bien installées et qui pourront rédiger une phrase voire un texte librement.

Le premier texte rédigé risque d’être tardif pour un certain nombre d’enfants, les inégalités scolaires ont de beaux jours devant elles !

Au cycle 3, « Écrire à la main de manière fluide et efficace » est  la première des compétences listées avant celles qui permettent de « recourir à l’écriture pour réfléchir et apprendre ». Ce qui exigera beaucoup de répétitions, d’automatisation… au détriment des moments d’écriture pour l’expression et la réflexion.

Comme au cycle 2, ce seront toujours les mêmes élèves qui seront dans l’exercice  pendant que d’autres seront dans l’écriture personnelle ?

Alors pour qui les « écrits longs », les « écrits variés » ? Automatismes d’écriture, exercices d’entraînement pour les uns et « écrits ludiques et créatifs », réalisation de projets pour les autres…

L’écriture personnelle quotidienne pour tous les élèves est une pratique à développer, mais en permettant à chacun d’entrer dans le sens et le plaisir dès la première phrase rédigée : l’entraide, la part de l’adulte sont essentielles. Mais c’est une pratique qui ne s’improvise pas, elle demande une réflexion pédagogique avec des formateurs, avec d’autres enseignants… Ce n’est pas la lecture de ces programmes qui le permettra.

 

2. Pour l'étude de la langue

« L’étude de la langue s’appuie sur l’observation et la manipulation d’énoncés oraux et écrits issus de corpus soigneusement constitués. C’est à partir de ces activités qu’il convient de structurer les apprentissages et de formuler des règles. Une dernière phase consiste à automatiser et mémoriser les compétences acquises. S’ils sont fréquents dans l’usage, les phénomènes irréguliers doivent être mémorisés. »

Une même logique

Comme pour l’apprentissage de la lecture, ces nouveaux programmes se basent sur une progression du plus simple au plus complexe des notions, avec des leçons de grammaire et de vocabulaire quotidiennes et détachées des pratiques de lecture et d’écriture de texte, même s'ils espèrent qu’elles seront améliorées. Si la manipulation l’observation, la réflexion sont présentes, la mémorisation et l’automatisation sont fortement renforcées. La répétition quant à elle détermine tout : la compréhension, la mémorisation et l’application des procédures.

« La pratique de la langue, orale et écrite, est constitutive de toutes les séances ’apprentissage et de tous les moments de vie collective. Par la répétition, elle permet un véritable entraînement. Les activités d’oral, de lecture, d’écriture sont quotidiennement intégrées dans l’ensemble des enseignements. »

Comme l’étude de la langue est morcelée, l’élève pourra difficilement relier tout ce qui lui est présenté pour faire sens et réinvestir dans ses productions. Il mémorise, reverse dans des exercices, mais ne s’en sert pas. Seule une pratique fréquente et régulière de l’écriture, et ceci très tôt, peut motiver l’apprentissage des notions de grammaire et de conjugaison, enrichir le vocabulaire et développer le nombre de mots bien orthographiés et non le contraire. Le pourquoi doit précéder le comment et dans un temps très long et dès la maternelle.

Pour rassurer les parents, les grand-parents... les connaissances en grammaire retrouvent leur terminologie classique notamment, les compléments d'objet direct et indirect (COD, COI), les compléments circonstanciels (temps, lieu, cause) et les classes de mots (déterminants, pronoms personnels, adverbes, prépositions et conjonctions).

Dans ces programmes révisés, il n’y a guère de place pour la coopération et l’interaction entre les élèves. L’observation est collective et dirigée par l’enseignant, elle est suivie par l’apprentissage des règles et des séries d’exercices pour mettre en place chez l’élève des réflexes et des automatismes.

Les pratiques pédagogiques sont sans surprises 

- Aller du plus simple au plus complexe.

- La démarche de la récurrence et de la répétition : mémorisation, restitution et automatisation.

- La leçon de grammaire en quatre étapes : l’observation et la manipulation, la structuration et la formulation des règles, la consolidation et la mémorisation, l’automatisation avec de nombreux exercices.

- Un corpus d’apprentissage proposé par l’enseignant pour les observations, les manipulations, les classements…

- Un lien avec l’écriture, en espérant que les formes variées d’expression prescrites par l’enseignant et ses indications de travail sur les textes améliorent l'écriture.

- La dictée est louée, puisqu’elle permet individuellement d’appliquer les règles, d’exercer sa mémoire,  d’automatiser et elle doit être répétée quotidiennement.

 

 

Pour conclure 

Dans ces « ajustements » des programmes, certains mots utilisés sont révélateurs : mémorisation, automatisation, répétition, exercices, réflexes, mécanismes.

L’enseignant est un exécutant qui forme des exécutants.  On est loin de l’enseignant-chercheur et de l’enfant-chercheur qui ensemble lient et relient leurs découvertes et leurs connaissances. La classe n’est plus un espace humain coopératif, mais un espace où se juxtaposent des élèves dirigés par un enseignant qui suit une partition sans se permettre une seule note créative !

Catherine Chabrun - Collectif Lettres vives

Lire les projets dans leur intégralité :

http://www.education.gouv.fr/cid131635/projets-d-ajustement-et-de-clarification-des-programmes-de-quatre-enseignements-pour-la-scolarite-obligatoire.html

 

 

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