Brevet des collèges 2018 : De quoi l’épreuve de français est-elle le nom ?

Après la note de février qui modifiait en partie les modalités de l’examen de français, nous étions très curieux de voir à quoi elles allaient ressembler. Nous n’avons pas été déçus. Les concepteurs du sujet ont sans doute eu à cœur de se conformer à l’esprit des préconisations diverses de notre ministre de tutelle. En lisant le sujet, nous avons été  transportés dans le passé : textes classiques, vision traditionnelle de l’école et de ses enseignants… tout y était. Nous avons lu un sujet qui aurait pu être proposé au milieu du siècle dernier.

Un sujet fleurant bon les années 60 / un sujet passéiste

Le texte était un extrait d’Uranus, de Marcel Aymé,  choix dont on peut questionner la validité au vu des IO. En effet, en quoi se coule-t-il dans le programme de l’année de Troisième ? Nulle satire, nul engagement, nulle vision poétique du monde, nulle écriture de soi…La période historique ne saurait justifier à elle seule la pertinence de ce choix. Un texte passéiste, qui présente un enseignement sans rapport avec celui que les candidats ont reçu et qui présente les « beaux » textes classiques sans autre dessein que de les faire réciter aux élèves, semble-t-il.

Un sujet plein de pièges

Donc l’extrait était extrêmement difficile à interpréter pour nos élèves, présentant la double difficulté de les mettre devant une réalité pédagogique à peine reconnaissable et pourtant présentée sans explication, et de choisir une situation romanesque étonnante pour le moins, puisque, à cause de la guerre, les cours se déroulent au café.

Tout posait problème aux élèves : le texte en lui-même, rempli de chausse-trappes et d’ambiguïtés si fortes que beaucoup d’entre eux ont eu du mal à identifier le personnage principal, Léopold. A cela s’ajoutent des questions de compréhension qui reposaient toutes sur cette identification liminaire et une illustration tirée du film Uranus mais qui n’illustrait pas le texte, rendant ainsi son exploitation laborieuse.

Que penser d'un sujet de Brevet qui confronte à ce genre de difficultés des élèves encore peu aguerris ?

Nous avons eu le sentiment d’un traquenard, et nos élèves, fort décontenancés, également : l’examen était un piège, et pas la vérification honnête du niveau qu’ils sont supposé avoir atteint en fin de cycle 4.

Les consignes de correction, pour généreuses qu’elles aient pu être, tenant compte des difficultés auxquelles nos candidats étaient confrontés, avaient cependant le grand désavantage de n’être que fort peu claires et nous avons souvent eu la désagréable impression de jeter des points dans la balance sans pouvoir nous montrer ni très précis ni très rigoureux.

Venons-en aux questions de langue.

La langue est évidemment un enjeu de taille puisque J.M. Blanquer veut y subordonner toute réussite scolaire, tenant pour principe qu’un élève qui maîtrise la grammaire et l’orthographe est un élève en réussite. Or nous, praticiens, avons vérifié depuis longtemps que c’est plutôt la pratique assidue de l’écriture qui permet cette maîtrise progressive.

Les questions de langue, donc, se sont révélées à la hauteur de nos craintes, technicistes et détachées de toute intelligence du texte. Comme Andromaque est célébrée pour sa beauté, sans envisager de but pédagogique, la grammaire est une fête pour elle-même, et nos élèves étaient conviés à participer à la célébration de la subordonnée, relative et complétive, et mis en demeure non seulement de les reconnaître, et de les nommer mais encore d’expliquer le raisonnement grammatical utilisé, car il est évident que les élèves de troisième ont présentes à l’esprit les démarches grammaticales pour tout fait de langue.

La réécriture, en particulier, portant sur deux vers de Racine  dont nous avons bien peur que nos candidats n’aient pu en comprendre un traître mot, nous apparaît comme particulièrement retorse.

Le but de ces questions, nous semble-t-il, est un effet d’affichage qui tendrait à montrer combien le ministre va désormais revenir aux fondamentaux.

La grammaire pure et dure et hors de là point de salut !

La dictée était dans le droit fil de ces questions, accumulant difficultés langagières totalement incongrues, imparfait du subjonctif (finalement non exigible) et ambiguïtés phoniques au point que nous avons dû  accepter “maître” aussi bien que “mettre”, par exemple : “ la municipalité avait réquisitionné certains cafés pour les mettre à la disposition des élèves”

Soulignons cependant que les consignes de correction étaient toute en hypocrisie, revenant sur les plus grosses difficultés pour en atténuer la portée dans la note, mais ces consignes n’étant pas publiques, la supercherie fonctionne à plein.

La rédaction à la gloire de l’école et de la culture

Les sujets de rédaction, eux, proposaient aux élèves l’alternative suivante : se mettre dans la peau du cafetier Léopold, et confier au professeur M. Didier son « grand regret de n’avoir pu poursuivre ses études et découvrir des œuvres littéraires » ou bien trouver des arguments et des exemples pour défendre une thèse imposée par le sujet qui consistait à énumérer les bienfaits de la lecture, ainsi qu’à faire son éloge en expliquant pourquoi elle était encore importante aujourd’hui, au XXIème siècle. D’un côté le repentir de Léopold au bon professeur Didier, de l’autre un éloge de la lecture… et rien d’autre ! Dans les deux cas, finalement, il s’agissait souvent de réciter.

Dans le sujet d’invention, il s’agissait de mettre en scène le cafetier, dans une conversation avec le professeur. Le Léopold des élèves de 2018 - lorsqu’il avait bien été identifié à la lecture du texte comme un cafetier et non comme un élève, auquel cas c’était une occasion de payer deux fois une erreur de compréhension - s’est fréquemment excusé d’avoir été contraint de devoir trouver rapidement un travail parce que ses parents étaient morts, ou pauvres ; il s’est parfois rendu coupable de sa passion pour le dessin et la musique qui lui ont fait dédaigner ses études, ou bien d’avoir traversé un moment douloureux dans son adolescence et d’avoir perdu la volonté d’accéder aux savoirs scolaires. L’école est donc nécessairement célébrée par ce Léopold pétri du vif regret d’avoir laissé passer sa seule chance de s’épanouir. Le bon professeur M. Didier lui répond généralement avec bienveillance, parce que dans cette école idéale, les enseignants sont compréhensifs et parfaitement empathiques (voire miséricordieux). Très souvent aussi, il lui propose, dévoué, des heures supp’ gratuites pour le remettre à niveau et lui permettre l’accès aux grandes œuvres.

Pour ce qui est de l’éloge de la lecture imposé par le sujet de « réflexion », les attendus contenus dans le corrigé officiel disent l’essentiel : « lire pour s’évader, voyager, apprendre, s’enrichir, réfléchir, mieux se connaître, mieux écrire, partager, échanger, se réconcilier, se libérer, sortir de la réalité, s’identifier et vivre des aventures, éprouver des émotions, etc. » Ne reste plus qu’à piocher dans cette liste relativement convenue, et de trouver deux ou trois souvenirs de lectures, de préférence estampillées « grandes œuvres » par la culture scolaire, pour illustrer.

Cette année donc, ni invention, ni réflexion, mais récitation. Et pas n’importe quelle récitation… puisque c’est celle qui fait l’éloge de l’école elle-même, telle qu’elle doit être perçue par les élèves, les enseignants et les parents, ou bien celle de la lecture dans le cadre scolaire puisqu’à aucun moment il n’est permis de nuancer, ni de réfléchir à l’acte même de lire.

Puisque c’est celle qui fait l’éloge de l’école elle-même, telle qu’elle doit être perçue par les élèves, les enseignants et les parents : une école où l’on doit acquérir des savoirs académiques utiles seulement à l’école, une école où on doit réciter et répéter… ce que dit le professeur, en bon ordre.

Dès lors, où l’élève pouvait-il bien trouver la brèche qui lui permettait de livrer une réflexion authentique et une pensée personnelle ? A priori nulle part, et ceux qui y sont parvenus possédaient pour la plupart une aisance intellectuelle, une large culture, une habitude de la lecture qui les assuraient de pouvoir formuler une parole singulière et donc intéressante. Par conséquent, ces bons lecteurs, largement avantagés, étaient facilement identifiables dans les copies…tout autant que les petits lecteurs d’ailleurs… qui, à l’image de Léopold, devaient alors se mordre les doigts de ne pas avoir réussi à lire, dans leur intégralité, les grands classiques du programme imposés par leur professeur de lettres. Il n’est pas sûr que cette épreuve très sélective les ait encouragés à plus de persévérance.

On peut dès lors se questionner sur les intentions visées par le choix de ce sujet. Le message envoyé aux enseignants est très net, et commence déjà à diviser dans la salle des profs : retour de l’étiquetage et de la grammaire pour elle-même, questions sur le texte cherchant davantage à sanctionner une compréhension déjà acquise qu’à accompagner la construction du sens, disparition de la place accordée à la réception du texte par l’élève considéré alors comme un lecteur exprimant son avis et son ressenti et invité à construire lui aussi le sens du texte littéraire, polysémique par nature. Du côté de l’écriture, cette tendance se confirme : le sujet de réflexion donnant cette année la thèse à défendre, il s’agirait également de ne plus privilégier la construction et la formulation d’une pensée authentique et personnelle s’appuyant sur les contraintes du discours argumentatif mais d’apprendre à se conformer à un avis déjà donné en l’adoptant à son tour et en l’illustrant.

Le message envoyé aux élèves est assez net aussi : le brevet sanctionne surtout des connaissances et le niveau de culture, notamment scolaire, acquis. Mais c’est sans doute le message envoyé à tous les autres, ceux qui ne sont pas à proprement parlé dans l’école et qui semblent la cible prioritaire, que le choix de ce sujet formule : grâce à J.M. Blanquer, l’école renoue avec l’élitisme, l’exigence et la rigueur des savoirs, les examens ne sont enfin plus bradés et les petits Français vont de nouveau apprendre à lire et à écrire correctement.

Une réponse à “Brevet des collèges 2018 : De quoi l’épreuve de français est-elle le nom ?”

  1. Je suis tout à fait d’accord avec ce qui précède et j’aimerais ajouter quelques éléments à cette réflexion. D’une part, les sujets des brevets sont « clivants », ils sont pensés au regard d’une norme d’excellence , laissant de côté une bonne partie des élèves dont – je pense , on ( mais qui est « on » ? ) n’imagine pas un seul instant les difficultés. Mais surtout , c’est l’amateurisme de la conception même du sujet et de ses questions qui m’exaspère le plus : formulations floues, compliquées , tendancieuses ; barèmes introuvables… Bref autant d’erreurs qu’un stagiaire ne commettraient pas pour sa première éva !
    Ronan

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