Lecture de Michèle Petit, anthropologue : la lecture pour s’y reconnaître

Au hasard des réseaux sociaux, j’ai découvert les travaux, passionnants, de Michèle Petit, une anthropologue qui s’intéresse de près à la lecture et aux postures de lecteurs et de lectrices.

Quelques remarques après la lecture de son article « Les Pays lointains de la lecture » et l’écoute de sa conférence « Lire pour se construire à l’adolescence : encore aujourd’hui ? ».

Dans ses propos, plusieurs idées rejoignent les positions du collectif Lettres vives.

Il y a tout d’abord l’opposition à une lecture que certain·e·s voudraient uniforme et voudraient imposer à tou·te·s : lire de la même manière, au même rythme, comprendre en appliquant une méthode unique, n’avoir qu’une seule interprétation d’un texte (celle de l’Académie, de l’institution, de l’enseignant·e, de l’adulte).

Pour Michèle Petit, au contraire, il est essentiel de conserver et de cultiver une grande liberté de lecteur et de lectrice, dans la manière de lire, dans le choix des textes et dans leur réception : « la culture n’est pas un monument autour duquel serrer les rangs comme un seul homme, mais quelque chose que l’on s’approprie, que l’on dérobe, que l’on bricole à sa façon. » La littérature est donc bien un objet vivant, et qui ne peut rester vivant qu’à partir du moment où les lecteurs et lectrices s’en emparent et la font vivre par leurs émotions, leurs questionnements, leur partage.

Dans son article, l’anthropologue explique également comment elle s’est rendu compte, au fil de ses recherches et des entretiens qu’elle a menés, que les bibliothèques, les livres mêmes, deviennent des lieux à part, intimes, des lieux de réflexion, de rêverie et d’exploration de soi, qui font écho dans la vie immédiate, ou des années plus tard. Or, cette subjectivité dans l’acte de lire n’est que peu exploitée dans l’enseignement des Lettres.

Par ailleurs, dans sa conférence, Michèle Petit réaffirme le statut artistique de la littérature, souvent oublié dans les discours alarmistes qui dévalorisent toute lecture autonome et non conventionnelle des jeunes. Elle oppose ce statut artistique de la littérature à une vision utilitaire des textes.

La littérature, de fait, est un art, et en cela, c’est un objet esthétique qui crée une émotion, qui s’adresse aussi à la sensibilité et dont la réception relève, forcément, d’une appréciation personnelle.

Dès lors, la hiérarchisation entre les différentes formes de littérature est-elle pertinente ? Que dire également de ce mépris dont certain·e·s font preuve pour les lectures personnelles des élèves (bande dessinée, manga, littérature jeunesse, fantasy…) ? Le collectif Lettres vives, bien au contraire, prend acte et s’appuie sur la culture des élèves. Selon nous, être lecteur·rice, ce n’est pas nécessairement lire les ouvrages recommandés par l’institution ou reconnus par la tradition. C’est également éprouver la littérature sous ses différents aspects : comprendre les textes, oui, mais aussi savoir en parler de manière personnelle, savoir les apprécier dans leur style, leur inventivité, leur histoire ; se former une sensibilité de lecteurs et de lectrices critiques. Mais à condition qu’on permette l’expression de cette sensibilité.

Mais alors, dans nos pratiques de classe, comment (re)donner la parole aux jeunes, pour qu’ils et elles puissent évoquer les expériences de lecture qu’ils font en-dehors des lieux scolaires ? Comment, également, leur (re)donner la possibilité d’exprimer leur propre avis sur les textes lus, en classe ou en-dehors ? Comment ouvrir l’espace classe à la culture des élèves ?

On peut :

○ instaurer un café littéraire régulier où chacun·e apporterait le livre de son choix pour le présenter à ses camarades et les inciter à lire cet ouvrage.

○ mettre en place une bibliothèque de classe où les élèves apporteraient des livres personnels, avec une petite fiche pour donner leur avis à la manière de celles que l’on voit dans les bibliothèques ou dans les librairies.

○ inciter les élèves à être attentifs·ives à ce que la lecture provoque en eux par différentes pratiques. Au quotidien, lors des analyses de textes, il s’agirait de partir des ressentis des élèves, de leurs réactions, interrogations et même critiques virulentes, afin de construire une lecture plus personnelle des textes, et non de faire noter la lecture de l’enseignant·e.

On peut aussi leur demander de rechercher dans les œuvres, individuellement, des phrases ou des extraits qui retiennent leur attention, qui parlent à leur sensibilité.

○ La mise en place d’un journal de lecture serait également intéressante, non pour y écrire des résumés et autres fiches aidant à la mémorisation, mais pour y noter des impressions de lecture, des questionnements, des citations qui interpellent, y faire des liens avec d’autres lectures, d’autres œuvres artistiques, y faire des dessins inspirés des lectures…

○ …

De nombreuses pratiques existent pour conduire les jeunes à être des lectrices et lecteurs sensibles, autonomes et critiques. A nous de nous en inspirer !

Jacqueline Triguel

Sources :

Article : « Les pays lointains de la lecture ». https://www.cairn.info/revue-ethnologie-francaise-2004-4-page-609.htm

Conférence : « Lire pour se construire à l’adolescence : encore aujourd’hui ? ».

https://www.dailymotion.com/video/x2t5021

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

*