Et si c’était à refaire ?

Enseigner, c’est un peu comme cultiver des arbres : on reçoit des individus déjà un peu formés, on s’en occupe quelques temps puis on les laisse à d’autres et on n’a que peu de moyen de mesurer l’importance et l’efficacité de ce qu’on a fait.

Alors depuis longtemps, j’ai l’habitude de proposer à mes élèves de petits questionnaires en fin d’activité ou en fin d’année. D’abord, il s’agit de permettre aux élèves de mieux réaliser, mesurer ce qu’ils ont fait, appris et appris à faire. Ensuite, c’est un moyen pour moi d’avoir une idée ce que les élèves ont perçu, compris de ma démarche et ce qu’ils ont retenu de ce que nous avons fait ensemble. Et puis c’est aussi un moyen d’avoir des idées nouvelles grâce à leur regard sur les activités proposées. « Et si c’était à refaire ? » est donc toujours la dernière consigne.

La première remarque est que, la plupart du temps, cette consigne permet essentiellement aux élèves de formuler des remarques du type « Ne changez rien, c’est très bien », « Ne changez rien, vous êtes une super prof », « C’était très bien comme ça, à refaire » et autres « R.A.S. » pour les élèves plus indifférents. Mais de temps en temps, je récolte une vraie petite pépite, une idée que je vais pouvoir réexploiter pour modifier mes stratégies pédagogiques. Et rien que pour ces petites pépites, cela vaut le coup de poser la question aux élèves.

Retour sur le cours de français

Cette année, j’ai deux classes de seconde qui ont deux profils radicalement différents. Les deux classes ont rempli le questionnaire de fin d’année composé de quatre questions.

  1. Quelle activité ou chapitre vous a le plus plu ? Pourquoi ?
  2. Quelle activité ou chapitre vous a le moins plu ? Pourquoi ?
  3. Avez-vous le sentiment que ce cours a modifié votre rapport à la lecture ? Expliquez.
  4. Et si c’était à refaire ?

Me voici face à un matériau riche d’une soixantaine de feuilles de réponse. Une lecture rapide me rassure : globalement, les élèves ont appris des choses et apprécié les cours et leur professeur de français.

Les deux premières questions sont pensées pour que les élèves feuillètent leur classeur, repassent les activités, prennent la mesure de tout ce qu’on a fait ou vu. En général, les réponses sont surtout un écho des goûts personnels de chacun. Cette année, la séquence sur la poésie a fait un tabac dans une de mes classes. Placée en fin d’année, elle a été une sorte d’aboutissement de ce que nous avons patiemment construit ensemble. Je crois qu’ils ont globalement éprouvé leur bonne maîtrise nouvellement acquise face à la littérature. Dans l’autre classe, le réalisme a eu un très gros succès, essentiellement parce que la séquence comprenait deux sorties, une à Paris et l’autre à travers les champs de deux fermes biologiques. Les sorties ont compté pour beaucoup.

La troisième question a essentiellement reçu une réponse positive, dans chacune des deux classes. En général, les élèves ont le sentiment d’avoir appris à lire avec plus de précision et de soin et, surtout, à analyser. J’ai tout particulièrement apprécié la réponse d’une des élèves : cette année, j’ai appris comment définir, classer et analyser un texte ce qui m’a donné un vrai goût à la littérature. […] c’est comme une énigme à résoudre, j’essaie de voir s’il y a un sens caché et si l’auteur veut faire découvrir quelque chose au lecteur. Avant un texte, pour moi, n’était qu’un simple bout de papier alors que maintenant, j’ai la curiosité de lire d’une manière approfondie et curieuse. J’aime beaucoup cette réponse, et quelques autres du même type parce qu’elles sont un écho extrêmement clair de ce qui est une ambition essentielle, quel que soit le niveau : ouvrir à la curiosité, favoriser la possibilité d’un dialogue entre le texte et l’élève, faire de mes élèves des acteurs de leur lecture et pas seulement des receveurs de textes et de cours. En la matière, je ne prétends pas à l’originalité, ni à l’uniformité du résultat. Dans la même classe, un autre élève écrit : le cours n’a rien changé, je n’étais pas un grand lecteur et je ne le suis toujours pas.

La difficulté à sortir de son rôle d’élève

Ce sont surtout les réponses à la dernière consigne : Et si c’était à refaire ?qui m’ont saisie dans ce qu’elles révèlent des écarts entre les deux secondes que j’ai eu cette année.

La première est une classe composée essentiellement d’élèves en difficultés voire en très grandes difficultés, pas seulement en français. En plus, dans la classe, quelques élèves posent vraiment des problèmes parce qu’ils ne font pas de sens avec ce qui leur est demandé en classe. Certains, des garçons essentiellement, ne savent absolument pas maîtriser leurs prises de parole et interviennent à tout bout de champ ce qui s’est avéré rapidement usant pour moi comme pour le groupe sans qu’aucune solution vraiment efficace ne parviennent à les aider à canaliser leurs interventions. De fait, c’est une classe dans laquelle j’ai rapidement eu tendance à beaucoup privilégier les travaux de groupes pour permettre aux élèves plus calmes, discrets et concentrés de pouvoir optimiser le temps de réflexion en classe, quitte à avoir régulièrement un voire plusieurs groupes à surveiller comme des casseroles de lait sur une gazinière. Enfin, c’est aussi une classe où les élèves se débrouillent très mal avec les implicites et ont beaucoup de mal à établir des liens entre les différents cours. Avec cette classe, il a été très difficile de construire des activités dans la durée, la plupart des élèves vivant chaque heure de cours comme une entité détachée de tout ce qui a précédé et de tout ce qui suivra. Bref, c’est une classe avec laquelle tout a été compliqué bien que les élèves soient très attachants et globalement vraiment sympathiques.

La deuxième classe est ce qu’on appelle une très bonne classe : des élèves attentifs, sérieux, qui assimilent et apprennent les cours au fur et à mesure, réalisent toutes les activités sans trop se poser de questions et réussissent très bien, dans toutes les matières. Bref, un groupe plus distant, plus consumériste qui tourne tout seul mais avec lequel j’ai eu un peu de mal à véritablement mettre en place une relation. Les choses se sont construites peu à peu et, en cette fin d’année, je peux conclure qu’être un bon professeur c’est facile : il suffit d’avoir de bons élèves.

Sans surprise, ma bonne seconde m’a proposé peu de choses nouvelles à cette dernière question. Pour l’essentiel, ils insistent sur des activités que j’ai pu proposer qui les ont aidés. En particulier, les activités de début d’année sur la prise de notes ont été plébiscitées parce qu’elles répondaient pour eux à un besoin immédiat et que, sur le fond, ils n’ont pas eu trop de difficulté à intégrer ces méthodes. Plusieurs me suggèrent de davantage proposer des activités à l’oral. C’est effectivement un de mes regrets cette année pour cette classe de trente-cinq élèves : je ne leur ai sans doute pas toujours laissé assez de place. Quelques élèves ont demandé plus de séances en salle informatique. Là encore, ils rejoignent un de mes constats : l’effectif de la classe a clairement été un frein. Difficile d’accéder confortablement aux outils informatiques avec trente-cinq élèves en même temps, une seule heure dédoublée toutes les deux semaines : j’ai largement renoncé à cet aspect cette année. Enfin, la pratique du contrat de révision (indiquer dès le début de la séquence ce qu’il faudra savoir et savoir faire pour l’évaluation finale puis y revenir plusieurs fois au cours de la séquence) leur a plu et ils m’invitent à la conserver. Finalement, ma bonne seconde est jusqu’au bout une bonne seconde : lucide et consciente de la façon dont j’avais construit leur parcours.

En revanche, l’autre seconde m’a beaucoup étonnée quant à ce qu’elle a indiqué dans la rubrique Et si c’était à refaire ?
Pour ce qui concerne mon travail, pour l’essentiel, ils me demandent d’organiser des contrôles de connaissances au cours du chapitre pour aider les élèves à apprendre régulièrement leurs leçons. Cette question de l’apprentissage des leçons a été véritablement le nerf de la guerre avec eux : quelques élèves travaillaient régulièrement, apprenaient leurs leçons et, finalement, réussissaient à progresser. Mais une proportion importante d’élèves ne faisait jamais prendre l’air au cahier de français entre deux cours. De fait, assez rapidement, mêmes les échanges en classe finissaient par tomber à plat parce que ce qui avait été précédemment travaillé n’était pas à leur disposition. C’est une difficulté qui était évidemment très partagée dans l’équipe. Je sais même d’où sort cette idée des contrôles de connaissances intermédiaires : c’est mon collègue d’histoire-géo qui procède ainsi. Et je retiens l’idée. Grâce à ma petite classe de seconde, j’ouvre un possible, un pourquoi pas ?
Un petit lecteur du groupe me propose de faire travailler les élèves à partir de l’adaptation de classiques en mangas. Un autre élève me suggère d’intégrer davantage le cinéma dans mon cours.
Le plus surprenant, c’est que, dans une écrasante majorité, les élèves de cette classe ont mal compris le et si c’était à refaire ? et ils ont parlé de leur travail d’élèves. Ils m’ont écrit qu’ils apprendraient mieux leurs leçons, qu’ils écouteraient mieux en classe, qu’ils feraient des efforts concernant la prise de notes. Bref, au lieu de proposer une critique de mon travail d’enseignant, ils m’ont répondu en partant d’eux. Cela m’a saisie parce que je crois que c’est la première fois que, à ce point, cette consigne crée ce malentendu. Cela a fait écho à un autre constat que j’ai fait en corrigeant le dernier devoir sur table : la plupart des élèves, dans leurs commentaires littéraires, s’incluent fortement dans leur analyse en utilisant le pronom « nous » en situation d’objet à tout bout de champ : « L’auteur nous dit que… », « Le texte nous dit que… », « L’auteur nous met en scène des personnages… ». Peut-être est-ce une clef intéressante pour comprendre les difficultés de certains élèves de cette classe : ne parvenant pas à se décentrer, ils sont toujours le centre de leurs préoccupations et c’est tellement prenant qu’ils ont bien du mal à faire de la place à ce qui est à apprendre ou au texte qui est à lire. Finalement, ma très bonne seconde n’avait aucun problème à s’oublier un peu pour mettre le texte au centre du cours. En revanche, dans la classe plus fragile, il fallait très régulièrement interrompre le cours parce que le texte emportait tel ou tel élève vers une préoccupation personnelle qui nous était imposée et avec laquelle il était nécessaire de négocier pour pouvoir retrouver le fil de la réflexion collective.

Et donc, si c’était à refaire, je serais sans doute plus sensible à cette difficulté qu’ont certains élèves de s’oublier un peu soi pour laisser de la place à ce qui est à penser, réfléchir, lire et construire ensemble. Voilà en tout cas, pour ce qui me concerne, une entrée tout à fait nouvelle sur les difficultés de certains de mes élèves et qui pourrait parfaitement nourrir ma réflexion et mon attention avec les promotions à venir.

Je souhaiterais conclure sur l’importance de cette pratique du retour sur l’expérience que je propose régulièrement aux élèves. Elle sert aux élèves, elle est aussi un outil de retour réflexif sur mes pratiques riche et intéressant auquel j’aurais bien du mal à renoncer. En ces temps de réflexions sur les nouveaux programmes et le carcan qu’ils dessinent, les écrits de mes élèves sont aussi un moyen de garder les pieds sur terre et de négocier avec les prescriptions au plus près des besoins des élèves, réels, qui me sont confiés. Avec tout ce qu’il va y avoir de nouveau à inventer l’an prochain, j’ai bien l’intention de proposer très régulièrement, au fil de l’année, des « Et si c’était à refaire ? »

Marie-Claude Pignol

2 réflexions sur “Et si c’était à refaire ?”

  1. Très intéressant. On parle peu de ce type de pratiques, j’ai eu souvent l’impression de bousculer trop de choses chez mes collègues quand j’y faisais allusion (en touchant au lien très personnel prof-élèves ?). Mais ce « retour sur » me semble une hygiène indispensable, pas là uniquement pour flatter le narcissisme (il y a des retours raides, tout aussi instructifs que les autres).
    Sinon, une question que je n’ai pas résolue : faut-il des questions techniques, comme ici (« quel chapitre… »), qui ont le mérite de la précision, ou des questions plus larges (« ce qui m’a plu-déplu »), vagues mais qui peuvent peut-être laisser surgir des éléments de fond quant au rapport à l’apprentissage.

  2. Merci pour ce retour. C’est vrai que j’ai peu l’occasion d’évoquer cette pratique avec des collègues, sauf dans des situations de co-intervention où j’ai eu tendance à l’imposer et où les collègues étaient souvent surpris de son intérêt pour l’enseignant.
    Pour la formulation des questions, je pense que cela dépend aussi de l’échelle du questionnaire : quand il s’agit d’interroger une activité précise, les questions ont finalement plutôt intérêt à être précises. Sinon, les élèves l’informent comme s’ils répondaient à un questionnaire de satisfaction et c’est moins riche.
    Pour le bilan de fin d’année, je préfère une formulation assez ouverte, qui leur permet de dépasser le cadre des séquences, s’ils le souhaitent. Mon expérience m’a montré que lorsque les élèves raisonnent par séquences, ils ont plus tendance à justifier par leurs goûts personnels ce qui est moins vrai quand ils raisonnent par activité. J’aime bien leur laisser le choix de l’échelle à laquelle ils raisonnent.
    Je conserve toujours le « et si c’était à refaire ? », on ne peut plus ouvert, qui me permet de récupérer des réponses plus libres et parfois très riches quant aux pistes d’améliorations ou d’approfondissement de ma pratique.

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