Entretien avec des autrices du manuel Des femmes en littérature – partie 2

Les Éditions Des Femmes – Antoinette Fouque et les éditions Belin ont publié, l’année dernière, un manuel intitulé : « Des Femmes en littérature ». La démarche nous a intéressé au collectif parce qu’elle touche évidemment à la question de l’enseignement des lettres comme moyen d’émancipation. Nous avons rencontré trois autrices du manuel. Suite de l'entretien.

Djamila Belouchat, professeure lettres

Céline Bizière, doctorante en littérature

Michèle Idels, des Editions Des Femmes – Antoinette Fouque

Mathieu Billière, pour Questions2classe(s), le collectif Lettres Vives, l’AFEF

Pour lire la première partie de l'entretien.

Pratiques de classe 1 : vers une « conscientisation » ?

MB : Pensez-vous qu’il est possible de déclencher ce débat-là dans les classes, entre les élèves, à partir des textes que vous proposez ?

CB : ça dépend quels textes.

DB : Oui, il y a plusieurs objets d’étude qui invitent à repenser la question de la culture, de la femme…

CB : Il y en a qui parlent de la condition des femmes clairement.

MI : Même sur la notion des héros, on a beaucoup travaillé ensemble à faire apparaitre que le héros n’était pas forcément le conquérant avec le glaive, etc. mais qu’il y avait beaucoup d’autres sortes d’héroïsme et que des femmes notamment, avec un courage, un engagement, dans la Résistance ou ailleurs…

CB : Ou encore la séquence sur le monstre, nous avons souhaité montrer que le monstre n’est pas forcément le monstre qu’on imagine, dégoûtant, Frankenstein, etc. mais on glisse de Mary Shelley jusqu’au monstre qui est la personne différente, en dehors des cases. Du coup ça amène à réfléchir à beaucoup de choses qu’on estime monstrueuses dans notre société et qui ne le sont pas forcément.

MI : C’est sur ce thème qu’on a fait un repère culturel. Les repères culturels proposent un état des connaissances du point de vue des femmes, on en a fait un sur les sorcières, et on a mis comme texte par exemple la chanson d’Anne Sylvestre.

CB : Le but n’était pas de faire un ouvrage féministe mais un ouvrage de textes de femmes, donc toutes les séquences ne sont pas orientées pour défendre la cause des femmes mais en tout cas pour montrer leur existence. C’était ça le but du manuel.

MB : En étant plus provocateur : est-ce que poser la question avec des élèves, en leur donnant des textes d’hommes et de femmes : « Y a-t-il une écriture féminine, une écriture masculine ? », sans préjuger de la réponse, juste pour mettre en place la discussion, revient à mettre en place une perspective féministe ?

CB : Je ne trouve pas forcément pertinent de demander à des élèves s’il y a une écriture féminine ou masculine. Il s'agirait plutôt de leur montrer d’autres modèles. Je pense que ce travail incombe à des sociologues, des anthropologues, enfin c’est un autre travail à faire, de scientifique, que Françoise Héritier aurait très bien fait, mais c’est un travail qui n’a pas été fait, qui est à faire, mais qui n’est pas de notre ressort. Et là ni les élèves ni nous n’auront de réponse à ça. Parce qu’historiquement, culturellement, ça a été des écritures formatées. Peut-être qu’on le verra dans un siècle s’il y a une écriture féminine ou masculine, mais jusqu’alors les filles n’avaient pas accès à l’éducation, elles devaient faire usage de ruse pour pouvoir écrire et publier.

MI : Les femmes ont toujours écrit. Le premier texte de la littérature mondiale est attribué à une femme mésopotamienne qui était prêtresse et poétesse. C’est encore très discuté aujourd’hui : comment peut-on penser que le premier texte de la littérature mondiale ait été fait par une femme ? Mais pour répondre à la question, d’abord féminin et masculin c’est très compliqué. La féminité ça peut être le fait d’un homme, la masculinité peut être le fait d’une femme. Alors mettre des élèves sur cette question là me parait d’une grande complexité.

CB : Les concepts au départ sont erronés, donc poser cette question, c’est mener les élèves dans un gouffre. Ça amène à penser de manière binaire, et justement c’est ce qu’on essaie de ne pas faire.

MI : En revanche, ça m’aurait intéressé, en faisant lire des textes à des élèves de leur demander s’ils pensent que c’est un texte de femme ou un texte d’homme, et pourquoi. On ne met pas de cadre idéologique, on les laisse découvrir s’ils sentent ou pas une différence. Parfois il y en aura, parfois non. Même nous on aurait du mal à s’entendre sur l’idée d’écriture féminine : est-ce qu’on fait référence aux stéréotypes, est-ce qu’on fait référence à ce qui est pensé depuis ces cinquante dernières années, dans la modernité où les femmes se sont inscrites dans les champs d’activité, de pensée, d’écriture. A quel moment de l’histoire on se situe pour dire si ça existe ou pas ? Enfin dans quel cadre de pensée on se situe pour se prononcer sur cette question, c’est extrêmement difficile.

CB : Dans l’autre sens, ça peut être intéressant, à la réflexion, qu’ils se posent la question, même si on n’a pas la réponse.

MI : Et d’ailleurs, on ne peut pas arriver à la question de la sexuation, parce que c’est quand même très compliqué, mais on peut peut-être arriver à la question de l’expérience et quand même malgré tout à la sexuation. Là par exemple j’ai vu un film qui s’appelle Pupille, qui est un film de Jeanne Herry. C’est un film absolument sublime, d’une jeune femme qui accouche sous X et qui s’en va sans même voir son bébé. Il montre comment les gens autour d’elle, les soignants, les psy, etc. font en sorte que cet enfant arrive à venir au monde une fois né malgré son abandon par la jeune femme qui ne pouvait pas à ce moment-là. Et c’est d’une délicatesse, d’une sensibilité, d’une intelligence, d’une construction très intelligente et très structurée. Il y a un couple d’aidants, c’est leur histoire en même temps, c’est leur enfant. C’est très riche et complexe. Et je me suis dit : c’est vrai que je ne vois pas qu’un homme aurait pu faire ce film parce que c’est en rapport avec des sentiments très profonds et une approche de la maternité, du fait de faire des enfants qui se vit différemment selon qu’on est un homme ou une femme. Il pourrait y avoir un très très beau film d’homme qui soit aussi délicat et aussi intelligent, mais très certainement la sensibilité serait différente.

CB : Je pense à Woman, de Yann Arthus Bertrand.

MB : In fine il est clair que sur ce manuel, dans les salles de professeurs, on va rencontrer cette question-là : faire un manuel avec des textes de femmes, c’est enfermer les femmes dans leur condition de femmes, etc.

CB : Non, parce que c’est un objet complémentaire. Étant donné que dans vos manuels il n’y a pas de femmes, ce manuel va compléter vos manuels à 97% masculins. On a pensé, pour rigoler, à mettre 3% d’hommes.

MB : Ah mais ils y sont ! On est surpris par les documents complémentaires, il n’y a parfois que des hommes.

MI : Il n’y a là aucun point de vue de mise à l’écart des hommes. On sait depuis que les Editions Des Femmes existent que les femmes ont toujours été tenues à l’écart, amoindries, maltraitées dans l’histoire de la littérature. Il s’agit à la fois de réparer une injustice et de réparer quelque chose qui est scandaleux, qui n’a pas de sens.

CB : Il s’agit aussi d’avoir accès à des textes merveilleux, elles se sont quand même livrées à des ruses et des sacrifices pour pouvoir écrire, donc on peut imaginer le talent. La nana, elle en voulait pour que son écriture existe.

MI : Et aussi d’avoir accès à une autre culture, une autre vision du monde, qui est celle que des femmes ont eue.

MB : Votre recherche a-t-elle déclenché des projets d’éditions des textes que vous avez découverts ?

MI : Belin nous a dit que ça leur avait fait prendre conscience de la situation. En travaillant avec une équipe de jeunes femmes des éditions Belin, elles ont petit à petit pris conscience de choses qui leur échappaient. Même Belin, qui pourtant a publié des livres sur l’histoire des femmes, qui est loin d’être l’arrière-garde de l’édition scolaire, a dit qu’ils allaient reconsidérer leurs manuels scolaires en fonction de la place des femmes.

DB : C’est aussi une demande des professeurs. Finalement on est dans l’air du temps.

CB : Et nous, avec notre communauté, on a eu un gros rebond : beaucoup d’élèves ont acheté le manuel, en ont parlé à leurs professeur·e·s et ont demandé à leurs professeur·e·s de l’utiliser. On a eu aussi des retours de professeur·e·s nous disant que leurs élèves étaient très contents de l’intégration de femmes au programme. On avait aussi des retours d’élèves, de l’ordre de 500 mails par jour, parlant des textes qu’ils avaient étudié. Il y eu un engouement réel autour des textes de ce manuel.

MB : Est-ce que vous avez une idée des établissements concernés ?

CB : J’avais eu l’idée de remettre un prix aux établissements qui fourniraient ce manuel dans les CDI, c’est un peu tombé à l’eau, on devrait le relancer.

MB : Pensez-vous qu’il y ait des établissements dans lesquels ça ne passerait pas ?

CB : Non je ne pense pas. On a un groupe prof, 1200 profs environ, tous enthousiastes, tous ont demandé à leur CDI de prendre le manuel.

MI : Le livre a été extrêmement bien reçu parce que ce n’est pas un livre qui épouse une idéologie, fût-elle féministe. Il met en lumière la création des femmes. Et même des femmes à travers l’histoire puisque ça va du Moyen-Âge à aujourd’hui, il y a des femmes du monde entier. On a aussi d’autres entrées, qui sont présentées en ouverture, il est question d’autres femmes, par exemple Irena Sendler quand il s’agit de la guerre.

DB : Si on pense simplement à la qualité des textes, la plupart des femmes présentes dans ce manuel étaient reconnues à leur époque, elles avaient reçu des prix. On les a totalement oubliées alors qu’elles étaient des stars. On a pris, au sens qualitatif, des textes qui doivent être étudiés en français.

Pratiques de classe 2 : Quels modèles féminins ?

MB : On a parlé du fait que c’était un manuel, du fait que c’étaient des textes de femmes, on a aussi le mot littérature. Vous avez beaucoup parlé de modèles, d’attaches à des figures, or il semble à la lecture de l’appareil didactique qu’il y ait plus d’insistances sur les figures de personnages que sur les figures d’autrices.

DB : On a des personnages assez forts. On en avait discuté d’ailleurs. On est tombé sur des textes où on pouvait avoir une image dévalorisante de la femme, on a choisi de ne pas les intégrer parce qu’on avait cette idée de modèle. En littérature, on s’identifie énormément aux personnages. On joue sur le plaisir de la lecture, on cherche l’identification à des personnages prêts à tout.

CB : Il y avait bien sûr des femmes soumises aux stéréotypes de l’époque et qui avaient une écriture misogyne, mais on a évidemment fait un choix plutôt positif, de femmes avant-gardistes.

MI : et puis des femmes qui ont eu et qui ont exercé une forme de liberté dans leur époque et dans leur manière de vivre.

CB : Fifi brin d’acier par exemple, il fallait la mettre.

MB : Dans la recherche en littérature, et donc dans ses conséquences didactiques, on fait le pari d’une certaine forme d’identification, on en est même à parler, plus encore que d’identification, d’actualisation, c’est-à-dire que la proposition disant que la réception des textes est en imbrication étroite avec le vécu des lecteurs devient, en didactique, la proposition de faire résonner les textes avec le vécu des élèves avant d’aborder une analyse plus formelle. Par exemple donner un texte à lire et demander aux élèves de raconter quels souvenirs, quelles expériences vécues et/ou quelles expériences esthétiques ça réveille en eux. Votre manuel ne ferme pas du tout cette approche mais j’ai l’impression qu’il ne l’intègre pas complètement.

MI : Je reprends ce terme d’actualisation, sans répondre à la question, mais on pourra y revenir. En tout cas je pense que ce manuel est un manuel d’actualisation des connaissances des femmes et de la littérature. Le premier texte qui est venu au bac est un texte de Mme de Lafayette, ce qui n’est pas vraiment l’avant-garde. Ce manuel est un manuel d’actualisation, il fait venir les femmes au monde là où elles sont aujourd’hui alors qu’elles en étaient exclues.

CB : Sinon, on n’a pas réfléchi à l’idée que l’interprétation se fasse d’abord par l’élève. Il y a tellement de choses à rattraper dans l’histoire par rapport à l’histoire des hommes, les guerres etc. que c’était très important de mettre de l’histoire des femmes dans ce manuel. Les élèves n’ont aucune idée de l’histoire des femmes, des mœurs dans une civilisation donnée, parce que ça c’était l’histoire du féminin, pas du masculin.

DB : Effectivement on n’a pas mis énormément de questions. C’est là qu’est la liberté du professeur, on peut très bien le faire.

MB : Pour préciser la notion d’actualisation, je m’appuie par exemple sur un article de la revue Le Français Aujourd’hui, qui présente une expérience sur la lecture interprétative. L’enjeu est de donner un rôle à ce qu’on appelle parfois le sujet lecteur, en tant qu’il participe à la mise au jour de l’œuvre. On s’appuie ici sur les travaux de Pierre Bayard ou d’Yves Citton par exemple. Un exemple de pratique : j’ai moi-même eu des élèves de terminale à qui je devais enseigner La Princesse de Montpensier, une histoire racontée différemment (dans tous les sens du terme) à 3 siècles d’écart par une autrice, Mme de Lafayette, et un cinéaste, Bertrand Tavernier. Je n’ai pas commencé par le sens politique de ce choix de programme, par l’analyse du récit ou par une contextualisation sur la naissance du roman moderne, j’ai commencé par leur demander de me raconter leurs histoires d’amour à eux, car en m’appuyant sur les notes de Bertrand Tavernier, j’avais relevé qu’il s’agit d’une histoire d’amours adolescentes. De la sorte, je faisais le pari que la lecture du texte et le visionnage du film allaient résonner et devenir des expériences concrètes.

DB : Ça c’est vraiment une approche pédagogique, on peut tout à fait le faire avec notre manuel. De toute manière on était assez restreint par la place, on tenait beaucoup à avoir la biographie des dames, donc même en termes de volume pratique, on ne pouvait pas trop développer.

CB : Et chaque professeur·e vient quand même avec sa manière de faire. Mais il est clair que partir du point de vue de l’élève qui raconte sa vie c’est génial : l’élève est tout de suite embarqué dans l’histoire.

DB : Et on a des scènes très fortes finalement.

MI : Je dirais que presque inconsciemment on l’avait en tête. On avait en tête le rapport de l’élève au texte qu’il allait lire, et ces textes, à mon sens, parlent, peuvent parler. C’est presque une question d’empathie à l’égard des élèves, je pense qu’on en a tenu compte sans le savoir, comme M Jourdain faisait de la prose. Je pense qu’on avait en tête le fait de prévoir comment l’élève allait recevoir le texte.

CB : C’est vrai qu’on aurait pu faire une amorce au début : « Posez à l’élève la question… »

MB : C’est une autre question : si vous aviez fait l’amorce, on serait venu vous le reprocher. Mais malgré tout, comme tout livre, un manuel scolaire prévoit une espèce d’usager idéal, modèle. On voulait savoir si vous aviez envisagé l’élève acteur.

CB : Comme on avait une communauté forte, avec des tout petits, 12-14 ans, très engagés, on savait qu’eux feraient intégrer le manuel. On voulait qu’ils se l’approprient. Et ils ont tout vu.

MB : Vous-mêmes, vous avez été élèves, avez-vous éprouvé, dans l’enseignement reçu, des frustrations qui auraient pu guider ensuite votre travail.

CB : Complètement. J’ai détesté la littérature jusqu’à la troisième, et une fois on m’a fait étudier un texte de Barbara, c’est là que j’ai commencé à aimer la littérature. On ne lisait que des textes d’hommes, je ne me projetais pas. Même les personnages féminins, écrits par des hommes, étaient très stéréotypés, les personnages féminins de Molière sont des femmes débiles ou alors larmoyantes devant Dom Juan. C’était compliqué de se projeter en warrior dans les personnages qu’on nous proposait au collège. Quand j’ai lu la préface de Barbara, d’une très belle écriture, où elle explique qu’elle va finir morte sur scène d’une très belle écriture, c’était une claque et je me projetais parce que c’était une femme.

DB : Mon expérience est différente. Je n’avais pas ce manque d’auteures. D’un côté parce que je lisais énormément de littérature jeunesse, donc on retrouve beaucoup d’auteures femmes. Je ne lisais pratiquement que des auteures femmes sans y faire attention. Mais même dans ma scolarité. Je me souviens des conjugaisons où on devait dire il puis elle à chaque fois.

CB : Pourquoi pas elle et il ?

MI : Dans le primaire ça allait, j’ai des souvenirs de poèmes. Le secondaire a été un enfer, le mode classicisme très codifié, très abstrait m’a complètement mise de côté. C’est à partir du lycée, avec des textes de la modernité, Duras, Yourcenar que j’ai retrouvé des textes vivants, qui me parlaient. Parce que je crois que ce qui me tenait à l’écart, c’est qu’il y avait des grandes figures qu’on me présentait comme génialissimes et que c’était ça la littérature et pas autre chose. Quand on lit Hugo dans le cadre scolaire, on peut aimer, mais la manière dont c’était présenté, ce n’était que des statues du commandeur.

DB : ça dépend aussi des professeurs qu’on a eu.

MI : On n’est pas du tout de la même génération, j’étais au lycée avant 68. C’est très important de le souligner.

CB : La manière d’enseigner est une vraie question. J’ai terminé l’apprentissage de la littérature par l’histoire littéraire, c’est-à-dire l'étude des textes en faisant abstraction du texte. Et là, il y a quelque chose qui est directement faussé parce que la culture de notre professeur est forcément une culture masculine. Je pense que l’ouverture qui a été faite, de ne plus partir de l’histoire littéraire, permet aussi un champ des possibles plus ouvert pour la littérature des femmes.

MB : Au collectif Lettres Vives on défend cette idée qu’enseigner la littérature par les grandes figures, ça a des conséquences didactiques et pédagogiques directes, enseigner l’exercice d’admiration, ça veut dire enseignement frontal, simultané, que, comme le dit Brighelli : « l'élève n'est pas en classe pour « s'exprimer ». Il est là pour écouter, apprendre et prendre des notes ». Or l’entrée que vous faites, qui a une dimension subversive par rapport à l’histoire littéraire, devrait permettre de subvertir aussi des pratiques de classe.

CB : On véhicule une autre histoire littéraire, qui est celle des femmes et qui vient compléter aussi par une forme de controverse, l’histoire littéraire habituelle.

DB : C’est pour ça aussi qu’on insisté pour avoir les portraits, pour que les élèves aient matière à humaniser l’auteure.

MI : Que le texte n’existe pas sans l’auteure.

MB : Ma question est : est-ce que ça peut induire un changement dans la manière dont on fait la classe ?

MI : Je pense que oui, je pense que les élèves qui vont lire ça pourront avoir un rapport plus positif, à ce qu’ils vont lire et aux textes que lorsqu’ils sont devant les grandes figures. Je suis pour les exercices d’admiration, mais je ne suis pour l’obligation d’admirer tel ou tel. Il y a une incontournable et nécessaire intégration de la culture pour chacun, mais cette culture commune doit être vivante, pas un apprentissage de la loi sans paroles et sans réflexion.

CB : Mais c’est un peu le serpent qui se mord la queue : lire un ouvrage écrit à une époque donnée permet d'appréhender en même temps l’histoire de cette époque. C'est ce qui est intéressant par exemple quand on lit Balzac, parce que s'il n'écrit vraiment pas bien, il décrit en revanche très bien les choses. On trouve chez lui l’essence même du XIXe siècle. C'est la même chose quand on lit des textes de femmes, quand bien même on ne s’intéresse pas à l’histoire littéraire, on a aussi accès à l’histoire.

MI : On a répondu à ta question ?

MB : Pas tout à fait. Je suis militant pédagogique, je pense que dans ce manuel, la démarche qui consiste à mettre en lumière ce que cache le corpus canonique introduit une forme de subversion qui doit à mes yeux induire quelque chose sur les pratiques de classe.

CB : On a des textes entier de Flaubert, de Gautier, de Nodier qui louent Delphine de Girardin en disant que c’est la seule femme, en fait le seul auteur à égaler Victor Hugo dans la joute de l’alexandrin, et à gagner face à lui. Hugo lui-même disait avoir un égal en littérature et c’est une femme. C’est ce qui le poussait à défendre le droit de vote des femmes.

MB : Mais ce serait intéressant d’accompagner ce manuel d’une réflexion sur les pratiques de classe.

MI : Peut-être que c’est à vous de le faire. Djamila est professeure et c’est elle qui a fait l’appareillage pédagogique, donc peut-être qu’elle est intéressée par ces questions. Mais ce qui a déterminé ce manuel ce n’était pas ça. Ça, vous pouvez en parler avec Djamila, mais pas avec moi. Pour nous, aux Editions Des Femmes issues du MLF, il s’agissait vraiment de mettre en lumière des pans de la culture qui étaient inaccessibles. C’est toute une culture qui entre dans ce manuel, qui vient de la nouvelle condition des femmes, de leur émergence comme citoyennes, penseuses, étant au monde. En même temps, on redécouvre des femmes de l’histoire à travers des femmes d’aujourd’hui.

MB : Mais dans ce monde il y a clairement une demande d’horizontalité, quelque maladroite qu’elle soit. Or cette idée de la verticalité d’une domination masculine est aussi présente en classe. Les filles interviennent moins.

CB : Un article disait que le professeur interroge les garçons pour faire un raisonnement et les filles pour des exercices de répétition. Le fait de montrer que des femmes intellectuelles existent, c’est aussi leur donner le courage de lever le doigt et de proposer leur réflexion.

MI : Les portraits, les autrices, mais aussi les personnages de filles inventives, des personnages positifs et forts. Peu de femmes reprennent la vision des hommes. Quand les femmes parlent d’elles-mêmes c’est différent.

MB : Il y aura des suites ?

DB : Pour le lycée.

CB : Et puis ce ne sont pas les projets qui manquent.

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

*