Et si on écrivait sur les murs de la classe ? (2)

Résumé du 1er épisode : un texte libre qui fait surgir le débat en 6e, sur les « trucs de filles » et les « trucs de garçons », sur les difficultés à être une fille. Une envie de faire dialoguer les élèves de toutes mes classes, de la 6e à la 3e. Un mur vide dans la salle. Voilà comment est né le mur des débats et comment il a pris vie grâce aux échanges entre les élèves.

Lien direct pour lire l’épisode 1 : http://www.lettresvives.org/2019/07/16/et-si-on-ecrivait-sur-les-murs-de-la-classe/

Épisode 2 :

La dynamique s’est donc bien enclenchée, les élèves ont totalement pris possession du débat mural et je n’ai rien eu d’autre à faire, dans ces moments-là, que relire leurs écrits et, surtout, observer les attitudes, l’émergence du lien entre les élèves, l’évolution des productions quant à leurs qualités argumentatives et rédactionnelles et leur engagement dans ce travail.

En effet, ce qui était à la fois étonnant et réjouissant dans ces échanges à distance, c’est l’enthousiasme avec lequel les élèves se répondaient, cherchant progressivement la formulation la plus juste ou la plus percutante, faisant appel à la classe, élèves comme professeure, et aux outils mis à disposition pour progresser dans l’expression des idées. Il me semble qu’à partir du moment où les écrits avaient une destination autre que celle de la professeure qui juge et évalue, ou même celle du cercle de la classe, ils prenaient un autre sens, plus ancré dans la réalité, dans la communication et l’apprentissage authentiques.

Partager des expériences

La différence d’âge et d’expérience a également été bénéfique, permettant aux plus jeunes de bénéficier du recul critique des 3e et à ces derniers de prendre conscience de l’évolution de leurs pensées et de leurs attitudes entre la 6e et la 3e. Par exemple, la question des règles, « un truc de filles » selon les élèves, a été abordée. Mais elle l’a été par le biais de périphrases comme « les périodes rouges » ou « des trucs de filles plus matériel et hygiène » qui ont provoqué l’indignation de quelques jeunes filles de 3e. Selon elles, il était nécessaire de pouvoir parler des règles sans détour et sans honte, l’une d’elles faisant même référence en classe au débat toujours en cours sur le remboursement ou la mise à disposition gratuite des protections hygiéniques. Elle a ainsi fait prendre conscience aux garçons de cette injustice qui passe le plus souvent inaperçue : le poids des règles dans le budget des femmes et la difficulté que cela représente pour les femmes les plus pauvres. Si la reprise de ces arguments avec les 6e a été l’occasion pour certains garçons de théâtraliser leur gêne, en se cachant notamment sous leur manteau, elle a aussi permis de mettre en avant le fait que les règles n’ont pas à être un sujet tabou, que l’on peut en parler sans avoir honte et que les difficultés qui entourent les règles peuvent être constituées en objet social, économique et politique.

Structurer un raisonnement, nourrir des réflexions

En parallèle à tous ces échanges très riches, il fallait aussi imaginer la suite car nous ne pouvions pas nous contenter d’alimenter un mur avec des petits papiers éparpillés un peu partout, avec parfois un débat entre 3-4 élèves via la superposition d’arguments, avec aussi des stéréotypes qui venaient s’ajouter à ceux que nous avions choisi de contester. Comment donner du sens à cette démarche, comment en tirer des apprentissages ou comment les structurer ?

Le premier débat ayant été lancé par les 6e, j’ai décidé de profiter des demi-groupes pour reprendre toutes les idées affichées sur le mur avec les élèves : nous avons changé la configuration de la salle en mettant les chaises en cercle, les élèves ont décroché toutes les feuilles et nous les avons réparties afin que chacun·e en lise au moins une, en veillant à ne pas rompre les échanges qui se répondaient.

Le but énoncé aux élèves était de faire une synthèse du débat mural, assez claire et structurée pour être distribuée aux trois classes ayant participé aux échanges. J’ai donc allumé le vidéoprojecteur afin de prendre en charge l’écriture de la synthèse, à partir de ce que diraient les élèves.

Pour commencer, nous avons repris chaque question et avons redéfini très précisément les termes, expliqué ce que nous comprenions de la question et de ses enjeux. Nous avons pris ensuite le temps de relire à haute voix chaque feuille, en commentant ou en explicitant au besoin. Régulièrement, les élèves faisaient un résumé des arguments ou de l’échange, en essayant de classer les idées, en ajoutant des remarques ou des exemples. Le but était de chercher la cohérence dans les raisonnements, de regrouper les arguments similaires et de nuancer les positions.

Se conscientiser

Là encore, les discussions ont été très riches. En rapport avec la question « Certaines filles de la classe pensent qu’il est plus difficile d’être une fille qu’un garçon : quel est ton avis ? », les élèves ont relié certains arguments à des situations d’oppression vécues par les femmes dans d’autres pays (le fait que les femmes n’aient pas le droit de voter encore très récemment, de travailler sans l’autorisation de leur mari, parfois même de conduire). Certain·es jeunes ont ensuite fait un parallèle avec des expériences plus proches, qui une voisine, qui une tante, empêchées de travailler, de sortir, de se vêtir comme elles le souhaitent. Quelques filles de la classe ont révélé que, parce que leurs parents avaient peur qu’elles ne se fassent agresser, elles ne pouvaient parfois sortir qu’accompagnées de leur frère, d’un cousin, d’un… garçon ! Dans chaque groupe, il y avait des élèves qui, d’emblée, trouvaient ces situations inacceptables, et des élèves qui n’avaient pas pris conscience du caractère oppressif de ces interdictions subies par les femmes, qu’elles et ils percevaient plutôt comme normales, c’est-à-dire habituelles, donc acceptables. Les échanges ont permis de faire bouger les lignes, de comprendre que les habitudes peuvent être interrogées, remises en question et combattues lorsqu’elles véhiculent de l’injustice.

Ce sont les filles, surtout, qui ont été bousculées dans leurs croyances, qui ont pris conscience qu’elles pouvaient avoir tendance à être enfermées, mais également à s’enfermer elles-mêmes dans des stéréotypes (le régime, les bonnes manières). Elles ont également constaté la possible évolution des habitudes de vie à la maison, avec des garçons qui affirmaient participer de plus en plus aux tâches ménagères, et certaines familles qui veillent à la répartition égale des tâches. Durant l’échange, une élève a décidé de parler à ses parents et à ses frères du déséquilibre dont elle souffrait dans la répartition des tâches et, plus tard, elle nous a fait part de quelques changements mis en place par la famille.

Certes, ça peut sembler accessoire, mais ces préoccupations nées de l’expérience des élèves revêtent une importance essentielle dans leur quotidien et contribuent à la reproduction des stéréotypes de genres auxquels femmes et hommes sont soumis·es ou en tout cas confronté·es tout au long de leur vie. Faire en sorte que ces préjugés, que ces comportements soient non seulement mis en lumière, mais aussi interrogés et remis en cause me paraît indispensable pour contribuer à leur déconstruction et à l’empowerment des jeunes avec lesquel·les nous travaillons afin qu’elles et ils contribuent à l’évolution de la société vers plus d’égalité.

Là où il n’y a pas de bonne réponse

Au final, avais-je la volonté que tou·tes les élèves pensent de la même manière à l’issue de ce débat mural ? Que nous parlions d’une même voix – dogmatique donc – pour énoncer les mêmes principes, défendre les mêmes « valeurs », avoir les mêmes arguments ? Que tou·tes les 6e ne se cachent plus sous leur manteau pour parler des règles, que chacun·e accepte que les garçons puissent aussi porter des jupes ou se maquiller, accepte que la binarité sexuelle qui structure notre société elle-même soit remise en question… ?

Non, absolument pas. Je me suis toujours refusée à imposer des convictions, je me suis toujours attendue à ce que l’opinion des jeunes diverge de la mienne, et c’est heureux ! (Ce qui ne signifie évidemment pas que j'accepte les propos haineux ou discriminatoires, soyons clair·es à ce sujet...) Ce qui m’importait avant tout, c’était le questionnement face à des habitudes, des manières de penser et d’agir que la société et la famille, consciemment ou non, présentent comme évidentes, voire immuables et qui reproduisent pourtant des situations d’oppression et d’inégalité.

Au terme de la séance, les élèves se sont accordés sur les éléments suivants, qui concluaient la synthèse du débat mural :

« Il est nécessaire d’arrêter de penser cela [qu’il y a des trucs de filles et des trucs de garçons] car :

- on va être contrôlé·e par la société, ce sera comme dans une prison, on ne pourra plus/pas faire ce qu’on veut, ce qu’on aime ;

- on n’aura jamais notre personnalité, on sera tous et toutes pareils ;

- si un garçon, par exemple, veut jouer aux barbies, il aura peur de subir des moqueries ou du harcèlement, car les garçons aussi sont victimes de clichés ;

- ça peut créer des inégalités entre les garçons et les filles, comme pour certains métiers ;

- en fait, on doit respecter les choix de chaque personne, qu’ils soient vestimentaires, sexuels, sportifs... »

« Je suis une fille. Mais je ne jouais pas avec des poupées. Je ne brisais pas les clichés en jouant avec des petites voitures. J’avais des cubes, et j’étais contente. De toute manière, il n’y a jamais que deux choix »

La synthèse a été distribuée à toutes les classes ayant participé au débat mural, lue par les élèves, reprécisée au besoin, mais sans repartir dans de nouveaux échanges argumentatifs car le temps était venu de clore ce premier débat, après 4 semaines assez riches et intenses.

L’expérience à peine achevée, les 6e ont voulu proposer un nouveau débat, mais les 3e avaient déjà émis le souhait de lancer le 2ème sujet...

Suite de l’expérience et analyse critique dans le prochain article !

Jacqueline Triguel

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