Des descriptifs

Chaque année, pour préparer les oraux de l’Epreuve Anticipée de Français, les professeurs des classes de première préparent un document nommé « Descriptif des lectures et activités » qui contient, classés par séquence, l’ensemble des lectures de l’année, groupements de textes, œuvres intégrales, autres supports (œuvres d’art, films, etc.) et autres activités, comme les sorties, les rencontres. Ce document est une sorte de portrait de l’année de cours, il est massif, au jugé, la moyenne est d’une vingtaine de pages. Signé par l’enseignant et le chef d’établissement, il prend le caractère d’un document officiel et atterrit alors dans les mains des élèves, qui se l’approprient tout de suite, le feuillettent, font quelques remarques. Le moment de la distribution est toujours un peu solennel : en fin d’année, cet horizon lointain et mystérieux, ce fantôme même qu’est l’oral de l’EAF commence à prendre forme.

Du coup, il peut servir de support à un bilan de la séquence : on projette sur l’écran la partie du descriptif la concernant et on met en forme ensemble. Cela résonne comme une sorte de retour sur le travail, donne sens à l’ensemble.

Il faut dire que la rédaction du descriptif est codifiée, doivent y apparaitre un certain nombre d’informations. Le titre de la séquence, le corpus étudié – œuvre intégrale ou groupement de textes - , la problématique, l’objet d’étude, les textes et documents complémentaires. A l’inverse, ne doivent pas apparaitre les problématiques des textes, les plans de lecture analytique (s’il y en a), les devoirs, évalués ou non.

L’outil est formidable, il permet une prise de recul, montre les progrès, le travail effectué, le chemin parcouru, condense les découvertes, devient avec l’usage une sorte de roman du cours de français. Bien menée, la séance consacrée au descriptif peut devenir un vrai moment de complicité et renforcer le sentiment de collectif indispensable au bon fonctionnement d’une année de cours. Le descriptif devient une sorte de carte d’identité de la classe de français.

Mais il y a autre chose. Après cette appropriation par les élèves, le descriptif est envoyé aux futurs examinateurs. Ceux-ci reçoivent donc autant de descriptifs qu’ils vont interroger de classes. La découverte des descriptifs est, pour l’examinateur, un moment particulier. Le geste est concret : sous forme papier ou numérique, on reçoit les documents, on les ouvre et on les découvre. Le moment s’apparente à un rituel de découverte, avec toute l’excitation et toute la fébrilité que ça suppose (1). Comme tout rituel, il marque du reste un passage, celui de l’enseignant, qui avait rédigé un descriptif, à l’examinateur, qui va s’en servir.

A partir des descriptifs reçus, l’examinateur va devoir préparer ses interrogations, il voit donc se déployer sous ses yeux un programme de lecture, à découper en découvertes, redécouvertes, choses déjà connues. Mais il voit se déployer aussi des approches, des démarches, il se doit d’imaginer le terrain à partir de la carte. Au travers de la problématique, des axes retenus pour l’étude des œuvres intégrales, des choix de textes, analysés ou complémentaires, quelque chose émerge de ce qu’a été cette année. De la sorte, l’échange de descriptifs est aussi un échange professionnel, c’est en fait l’un des rares moments où cet échange peut bénéficier d’un tel investissement. La curiosité est ici obligatoire : impossible de rejeter rapidement, par fatigue, lassitude, colère ou autres les propositions sur lesquelles on nous demande de réfléchir. L’intérêt est multiple.

L’examinateur qui redeviendra professeur peut collecter, à la lecture de ces descriptifs, une série d’idées, de séquences, de lecture, d’interprétations, etc. Il m’est arrivé de construire des séquences l’année suivante en m’appuyant sur les descriptifs du mois de juin.

La collecte des descriptifs, pris en masse et pour peu qu’ils soient archivés, constitue une source précieuse et combien plus pertinente que la lecture des manuels pour savoir ce qui se fait en classe au cours de l’année de première. On imagine la joie d’un historien, d’ici quelques années, qui tombera sur cet archivage massif, promesse de découvertes en pagaille.

Contrairement aux programmes, qui sont une injonction verticale, l’échange de descriptifs est entièrement horizontal, ce qui en fait, pour qui s’en empare, un vrai lieu de propositions, un espace où peuvent se déployer toute une série d’expériences. Des collègues y ont été sensibles, qui ont essayé, sur telle ou telle liste d’échanges professionnelle, d’organiser une collecte des descriptifs.

Les descriptifs sont donc, l’air de rien, des témoignages annuels de la richesse des expériences didactiques autour de l’enseignement de la littérature. C’est un des endroits où, sans aucun doute, se joue la fameuse « liberté pédagogique ». C’est en tout cas, au sens littéral, un espace d’auto-nomie des enseignants, et un peu des élèves aussi.

Le projet de réforme des programmes de lycée comporte un bouleversement dont on ne mesure probablement pas les conséquences : la mise en place d’un programme national d’œuvres pour la classe de première, renouvelé par quart chaque année. L’échange possible par le biais des descriptifs s’en trouvera nécessairement bien réduit.

Et puis, même si le discours prédictif n’est pas très rigoureux, on peut se risquer à formuler une fiction méthodologique. Il se pourrait bien que, dès parution des programmes, les élèves croulent sous les propositions d’éditions parascolaires des œuvres, de recueils de commentaires préparés par des professeurs d’université spécialistes de l’œuvre, de sites internet pleins de recommandations, parfois créés par les collègues eux-mêmes, et que, peu à peu, se dessine une sorte d’injonction sourde à ne pas laisser passer tel ou tel aspect de l’œuvre, à ne pas renoncer à étudier tel ou tel extrait, indispensable évidemment pour la compréhension de l’œuvre. L’encadrement serré dont le cours lui-même serait alors l’objet pourrait bien entrainer une réduction de l’espace d’autonomie et d’invention, et donc une uniformisation des descriptifs. Soudain, la littérature se fait cercle étroit.

Mathieu Billière

(1) Je me montre peut-être un peu optimiste, ce rituel peut prendre une forme beaucoup plus violente : celle du jugement. Je me souviens d’avoir assisté, en réunion d’harmonisation départementale, à la mise en pièce d’un descriptif en présence du collègue qui l’avait rédigé – ce dont personne ne semblait s’être rendu compte.

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