Note de lecture : Winter is coming, Une brève histoire politique de la fantasy, par William Blanc, édition Libertalia, 2019.
Les origines de la fantasy
Le genre de la fantasy, ou du merveilleux en français, qu’il soit romanesque, cinématographique, ou sous la forme de séries à la télévision, est un genre particulièrement populaire et divertissant. Mais son succès peut aussi s’expliquer comme l’expression d’une peur ou d’un rejet du monde actuel et de la modernité.
W. Blanc fait remonter cette aspiration à un ailleurs féerique au XIXe siècle, à l’époque de J. Ruskin ou W. Morris, lorsque le Moyen-Âge, sous l’impulsion du romantisme, revient à la mode. J. Ruskin célèbre le temps des cathédrales où chaque artisan était libre dans son travail, à l’opposé du monde du travail moderne basé sur la division du travail, et produisant des objets standardisés et sans imagination.
Dans la continuité de ce penseur, W. Morris est l’un des premiers auteurs de fantasy à travers son roman The House of the Wolfings, qui influencera notamment J.R.R. Tolkien. La sensibilité politique de W. Morris est socialiste et cela se manifeste dans l’univers médiéval merveilleux de son roman, caractérisé par l’entraide, la solidarité et la vie en communauté. Ses autres romans mettent en scène un univers naturel et verdoyant, par opposition à l’hiver industriel, caractérisé par la laideur et a désolation.
Quels sens politiques à la fantasy ?
A l’origine du goût de J.R.R. Tolkien pour la fantasy, on trouve une autre expérience de la désolation ; celle de la première guerre mondiale et de ses machines meurtrières, qu’il évoque dans sa première œuvre de jeunesse La Chute de Gondolin. On ne peut pas non plus ne pas signaler que son chef d’œuvre Le Seigneur des Anneaux est écrit durant la seconde guerre mondiale, tandis que son fils Christopher est parti au front. Attention cependant à ne pas y voir une allégorie naïve où les gentils hobbits et alliés triompheraient des puissances du mal-pays de l’axe. Tolkien craint que la guerre mondiale ne pervertisse les hommes de tous les camps, comme la guerre de l’Anneau signe la fin d’une époque, d’un âge de magie, de merveille, d’elfes, et de hobbits, quel que soit le camp qui finalement triomphe. Les dommages causés par la guerre sont perçus comme irrémédiables. L’épisode final du Seigneur des Anneaux, « Le nettoyage de la Comté » exprime de façon frappante ces craintes : au retour de la guerre de l’Anneau, les hobbits trouvent leur pays dévasté par ce qui ressemble à un avatar de modernité industrielle.
Cette même peur des dommages créés par l’industrialisation massive des sociétés occidentales et la désertification des campagnes, se retrouve exprimée dans des œuvres aussi diverses que Les Schtroumpfs ou Astérix en France. Dans les années 60, les œuvres de Tolkien seront considérées comme des fables écologistes et la figure de Frodo entre autres accompagnera les contestations étudiantes de cette époque. Par la suite dans les années 70, la fantasy traduira la peur d’un hiver nucléaire ou d’une guerre généralisée en situant ses récits dans un monde post-apocalyptique comme dans Nausicaä de la vallée du vent (1982) et Princesse Mononoké (1997) de Miyasaki. Dans la trilogie Star Wars, on retrouve l’opposition entre un univers forestier et sauvage comme Endor, qui s’oppose à et triomphe contre l’Empire, un régime totalitaire, dont la puissance est basée sur une armée standardisée et mécanique, image particulièrement anxiogène de la modernité. Cette même opposition peut se retrouver dans la série Harry Potter ou encore Avatar.
Enfin, G.R.R. Martin arriva et renouvela la vision politique qui sous-tend la fantasy. Martin est un admirateur de Tolkien, mais il insuffle un certain machiavélisme dans son univers féerico-médiéval, refusant l’identité roi-royaume qu’on trouve dès la littérature merveilleuse du cycle de la table ronde (si le roi est bon, le royaume est fertile) et dans le Seigneur des Anneaux, pour se tourner vers les « problèmes réels » des « rois réels ».
On peut remarquer concernant le slogan qui a marqué les esprits « Winter is coming » que Martin a commencé à l’utiliser sans penser à l’utilisation écologique qui en serait faite des années plus tard, par les militants, pour alerter sur la catastrophe écologique qui menace l’humanité, tandis que les gouvernements du monde continueraient à n’y prêter pas assez attention, trop accaparés par la guerre économique qu’ils se livrent de façon inconsciente. La métaphore de l’hiver est fréquente dans la fantasy, et ce sont les concepteurs de la série qui vont l’utiliser à partir de la saison 6, pour symboliser les catastrophes auxquelles s’exposent les hommes en lutte les uns contre les autres, ou en lutte contre la nature qu’ils défrichent sauvagement, sans tenir compte des êtres magiques ou primitifs qui y vivent. Ainsi la lecture allégorique de l’œuvre de Martin est certes possible, mais il la récuse, comme Tolkien avant lui, comme étant trop simplificatrice. Elle s’est davantage progressivement imposée à lui par appropriation collective qu’il ne l’a délibérément conçue et mise en œuvre.
En conclusion W. Blanc soutient que la fantasy est la critique romanesque d’un monde moderne urbain déconnecté de la nature et de ses forces, pollué, standardisé, menacé par des catastrophes écologiques. On pourrait parler à son sujet d’ « escapisme » politique, non pas de façon méprisante pour dire qu’on fuit la réalité, mais pour dire qu’on y trouve la « condamnation implicite » de la part sombre du progrès, et le rêve d’un chemin vers « d’autres futurs, d’autres possibles ».
Des bonus sont proposés à la fin cet essai notamment sur les dragons et leur passage progressif dans l’imaginaire merveilleux d’un côté sombre, sauvage et effrayant à une image plus positive, devenant des vrais compagnons des héros et héroïnes de fantasy.
Le tout forme un essai stimulant et éclairant qui donne envie d’étudier la fantasy avec ses élèves en ayant à l’esprit sa possible valeur critique, politique et contestatrice, mais pas naïvement manichéenne.
Alix Labrousse