Évaluer par « compétences » en Lettres au lycée – un récit de pratique

Évaluer par « compétences1 » en Lettres au lycée - un récit de pratique

« Quelle note attribuer à cette copie ? Pourquoi mettre 14 plutôt que 15 ? Et pourquoi ne pas mettre 19 ? Cette copie est-elle vraiment meilleure que la précédente ? » Pendant longtemps, attribuer une note plutôt qu’une autre à une copie a été un véritable calvaire pour moi, car je ne parvenais pas à fixer un barème précis et objectif, et surtout qui fonctionne. Souvent mes barèmes me conduisaient à attribuer une note qui ne me satisfaisait pas, que je trouvais injuste et peu objective.

Il faut dire qu’en Lettres, au lycée, les attentes sont pour le moins vagues : il y a celles que l’on se fixe entre pairs, variables d’un.e prof à l’autre, qui donnent des pistes pour enseigner une méthodologie précise, compréhensible et mémorisable d’un exercice du bac. Il y a, par ailleurs, les attentes de l’inspection, beaucoup plus souples et idéales mais que je trouve, pour ma part, très vagues, rarement pondérées, rarement explicitées2. Enfin, il y a les attentes nationales : le guide de correction de l’épreuve écrite des Épreuves anticipées de Français nous indique environ quatre attentes, quatre points à valoriser et le reste est une correction magistrale d’un commentaire ou d’une dissertation qu’aucun.e adolescent.e ne pourrait réaliser3.

Par ailleurs, du fait de la culture de la discipline (mais ce n’est pas la seule), en particulier au lycée, il est très difficile pour un.e professeur.e de donner 20 à une copie : les attentes, même si elles sont souvent inconscientes, relèvent souvent d’un perfectionnisme de mauvais aloi. En réalité, on exige, pour mettre 20 à un commentaire par exemple, que ce dernier ressemble à celui qu’aurait réalisé le.la professeur.e lui-même. Or on admettra qu’on ne peut exiger d’un.e adolescent.e de 15 à 18 ans la même production que d’un.e adulte, qui plus est spécialiste de la discipline4.

Décomposer un exercice de français en capacités permettait d’objectiver des attentes, et d’éprouver enfin un relatif sentiment de justice, de transparence et de clarté dans ma manière d’évaluer.

Un outil pratique : la grille d’évaluation

C’est une formation de l’académie de Créteil, où j’enseigne, intitulée « Enseigner par compétences en Lettres », qui m’a fourni un outil simple, précis et efficace pour évaluer autrement, et a mis fin à plusieurs années d’erreurs et de tâtonnements. La formatrice nous a montré un exemple de grille d’évaluation, qui explicite chaque niveau de réussite par attente5. Cette grille peut être pondérée. J’en ai repris le schéma et l’ai adaptée aux exercices du lycée. Elle fonctionne ainsi :

On décompose un exercice donné en attentes, que l’on précise plus ou moins (dans les colonnes de gauche). On peut appeler ces attentes items, capacités, critères, cela importe finalement peu.

On établit quatre niveaux d’évaluation pour chaque attente, et l’on explicite ce qui est fait par l’élève pour chacune, et pour chaque niveau. Cela signifie qu’il faut faire des hypothèses précises sur ce qui sera réussi ou raté. Voici les quatre niveaux que j’utilise6 :

  • Expert.e : c’est le niveau le plus haut, auquel j’attribue la totalité des points sur une attente donnée. C’est le niveau le plus facile à expliciter, qui correspond à la réussite maximale.
  • Habitué.e : juste en dessous, c’est le niveau de qui a fait des efforts, qui a réussi l’essentiel, mais pas dans tout le devoir. J’attribue plus de la moitié des points à ce niveau.
  • Apprenti.e : un effort a été fait, mais encore insuffisant, il y a beaucoup d’erreurs. J’attribue à ce niveau un nombre de point inférieur à la moitié des points.
  • Novice : c’est le niveau plus bas, il doit être aisément dépassé, il correspond à l’élève qui n’essaie pas, ne fait pas : il n’y a pas d’erreurs, il n’y a rien à évaluer, on est hors-sujet, hors attente, dans le renoncement. Ce niveau permet d’expliciter un des fondements des attentes de la classe : il faut essayer. La « nullité » en classe, c’est lorsque rien n’est fait. Ce niveau est toujours pondéré à 0.

Voici un exemple de grille que j’utilise pour évaluer la lecture à voix haute :

Les avantages de cet outil…

Le premier intérêt de cet outil, c’est qu’il permet de concevoir toute évaluation ou presque comme une évaluation formative. Si l’on rend cette grille complétée à un.e élève, on peut logiquement lui permettre de refaire tel exercice (qui n’aurait pas de « correction » officielle) jusqu’à ce qu’il.elle soit satisfait.e de son résultat. Je propose donc de refaire la plupart de leurs évaluations. Ce n’est pas obligatoire (sous peine d’être très chronophage) et il va de soi que je ne garde que la meilleure note obtenue. Cet outil permet en outre à l’élève de choisir ce qu’il.elle veut améliorer. On pourrait d’ailleurs aussi imaginer de n’évaluer qu’une partie seulement de ces capacités, dans une perspective de progressivité.

On peut aussi – et c’est ce que je fais le plus souvent – la donner avant ou pendant l’évaluation, la lire avec les élèves (au moins les colonnes « attentes » et « expert.e ») : l’élève sait exactement ce qu’il.elle doit faire. La grille peut même être conçue ou améliorée avec les élèves, ce que je n’ai pas eu le temps de faire jusqu’ici. Cela peut être l’objectif d’une séance de méthodologie par exemple.

Une telle évaluation permet de valoriser les réussites, les progrès, et, pour aussi bienveillante qu’elle soit, on voit bien qu’elle reste exigeante, puisque les attentes sont explicitées de manière fine et précise. Cela permet aussi d’attribuer aisément des notes positives voire très positives, et le 20 peut être atteint. Il me semble que cela permet de faire entrer l’élève dans un cercle vertueux, tout en le responsabilisant.

Cet outil fournit en outre un repère stable. Si je demande, au cours de chaque séquence de faire une lecture à voix haute, ma grille ne varie pas ou peu.

C’est aussi une ressource utile pour une séance de « correction » : je ne rends jamais de commentaire idéal par exemple en guise de correction de commentaire, parce que je pense que cela ne sert à rien à ce stade (je préfère donner ce type de modèle dans une séance de méthodologie). En revanche, il m’arrive, notamment pour les corrections de devoir commun, de lire avec les élèves une copie réussie anonymée (provenant de la classe, c’est encore mieux), de leur fournir une grille, et de leur faire évaluer la copie individuellement, puis par binôme ou en groupe, en complétant cette dernière. L’objectif est surtout de leur faire lire finement la grille, de les mettre en position de jury, ce qui est plus facile sur la copie d’un.e autre que sur la sienne.

Enfin, la grille peut être l’occasion d’un travail d’équipe : en cas de devoir commun et d’échange des copies, on peut la construire ensemble pour harmoniser notre évaluation. Cela implique de se mettre d’accord sur des attentes communes, ce qui permet de gagner en cohérence dans la matière : un.e même élève retrouvera une même grille en Seconde puis en Première. Dans notre cas, nous n’avons pas pondéré cette grille pour que chaque prof se sente libre de noter (car la note restant sur 20, difficile de pondérer et de tout faire rentrer dans les 20 points !) La grille sert donc surtout de repère commun pour que chaque élève puisse comprendre ce qui est réussi et ce qui reste à améliorer.

et ses limites

D’abord, la grille d’évaluation demande un travail assez conséquent de conception. Mais une fois qu’elle a été utilisée, elle ne peut être qu’améliorée, et cela va beaucoup plus vite. Évidemment, aucune grille ne reste figée dans le temps, elle peut toujours être modifiée. J’espère pouvoir les simplifier de plus en plus, car certaines sont indigestes. C’est le cas des grilles de commentaire ou de dissertation, pour lesquelles nous avons décomposé les attentes « canoniques » de chaque exercice (introduction, développement, etc.) Mais l’on rejoint là une réflexion plus globale sur la nature des exercices du français et leur évaluation au bac.

L’autre écueil que soulève cette grille c’est une approche trop méthodologique du français, un peu froide et désincarnée. Ce type de grille est un outil et ses limites sont aussi une forme de généralisation rigide qui empêche une certaine finesse. On peut encore ajouter que je ne sais pas dans quelle mesure chaque grille, une fois rendue, est bien lue et comprise par chaque élève.

Pour conclure, à ce stade de ma pratique, il faut bien admettre que la pondération représente aujourd’hui un travail supplémentaire assez inutile (de mon point de vue, peut-être pas de celui des élèves). Mais si je voulais passer à une évaluation sans note, il faudrait que je trouve un outil pour donner un aperçu synthétique et général des compétences (ou des capacités) évaluées sur une période donnée, pour pouvoir faire un bilan. Par ailleurs, il me manque encore un retour explicite des élèves : ce que je peux dire pour l’instant, c’est que je n’ai pas eu de contestation de mon évaluation (courante auparavant) depuis que j’utilise ce moyen.

Juliette Carré

1 La notion de compétences se définissant comme la mobilisation de ressources (savoirs, savoir-faire, savoir-être) pour réaliser une tâche complexe, peut-être faut-il dire immédiatement que ce ne sont pas vraiment (ou pas toujours) des « compétences » stricto sensu que j’évalue, mais peut-être plutôt des capacités voire des savoir-faire ?

2 Je sais néanmoins que les pratiques des Inpecteur.rice.s de Lettres et d’harmonisation des EAF varient beaucoup d’une académie à l’autre. Dans la mienne, je trouve le processus insatisfaisant sur ce plan.

3 Un jour, une collègue de SVT m’a montré son guide de correction : toutes les attentes étaient explicitées et pondérées, aussi bien en termes de contenu que de qualité de l’argumentation ou de structuration du texte.

4 On peut aussi penser ici aux travaux d’André Antibi sur la constante macabre.

5 Cette grille ressemble aux échelles descriptives que les IPR de certaines académies tentent de mettre en place pour la correction du bac.

6 Les noms de ces niveaux sont repris d’une autre formation proposée par la CARDIE de Créteil : « J’enseigne et j’évalue, mais qu’apprennent-ils ? ».

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