L’EAF au creux de l’abîme

By Photo officielle du CEA qui m'a été remise et dont j'ai extrait un petit fragment - Centre d'études nucléaires de Cadarache, service de "Calcul Analogique", CC BY-SA 4.0, https://commons.wikimedia.org/w/index.php?curid=82258024

Il y a quelque temps le collectif a vu remonter, depuis plusieurs académies, des messages des corps d’inspection annonçant que les livres ne seraient pas autorisés pour la deuxième partie de l’épreuve. Voici quelques extraits :

"L'Inspection générale nous a informés qu'un arbitrage juridique a été rendu concernant la possibilité du candidat d'apporter l’œuvre choisie pour la seconde partie de l'oral des EAF : du fait des risques de fraude, le candidat ne peut disposer, pour la première comme pour la deuxième partie de l’oral, que des documents mentionnés dans le texte réglementaire, à l’exclusion de tout ouvrage. Les arguments pédagogiques ont été présentés mais la question est désormais tranchée : le candidat n'est pas autorisé à se présenter à l'oral avec l'ouvrage qu'il a choisi de présenter. (Académie de Rennes)"

"Afin de vous accompagner au mieux dans le cadre de votre enseignement et dans la préparation des élèves aux épreuves anticipées de Français de première, nous portons à votre connaissance l'information suivante, que nous a récemment transmise le doyen du groupe des Lettres de l'Inspection générale : dans le cadre de l'épreuve orale anticipée de Français, les candidats ne pourront pas disposer de l’œuvre dont ils ont choisi de parler pendant la seconde partie de l'épreuve, que ce soit pendant le temps de préparation ou pendant la seconde partie de l'épreuve elle-même. Cette décision résulte d'un arbitrage national rendu récemment par les services juridiques du Ministère de l'Education nationale, de la jeunesse et des sports. (Académie d'Orléans-Tours)"

L’information selon laquelle c’était le service juridique du ministère qui avait imposé cette décision nous a par la suite été confirmée par des « sources proches du dossier » comme on dit. Nous nous sommes étonnés :

1/ Pourquoi le service juridique avait la main sur une question en tous points pédagogique ?

2/ Quelles formes pouvaient prendre des « fraudes » lors de ce qui devait ressembler à une « conversation littéraire » ?

3/ Que personne n’ait pensé qu’à l’inverse, cette mesure permettait aux candidats d’apprendre par coeur une fiche sur le livre au lieu de le lire ?

Le ton même des messages des inspections montre que nous ne sommes pas les premiers : « Les arguments pédagogiques ont été présentés mais la question est désormais tranchée », «  Cette décision résulte d'un arbitrage national rendu récemment par les services juridiques du Ministère de l’Éducation Nationale, de la jeunesse et des sports ».

Nous avons donc cherché des réponses auprès du service de presse du ministère, voici ce que nous avons reçu le 12 novembre :

« (...)au vu de la diversité des œuvres étudiées, il est recommandé que le candidat puisse disposer, lors de la seconde partie de l’épreuve orale, de l’ouvrage qu’il souhaite présenter. Des recommandations pédagogiques ont été transmises à l’ensemble des IA-IPR de Lettres dans ce sens, à travers un courrier du doyen de Lettres de l’inspection générale, dont voici un extrait :

 « Face à de nombreuses remontées de questions, le groupe des Lettres de l’inspection générale souhaite vous adresser les recommandations pédagogiques suivantes concernant les conditions pratiques de passation des épreuves orales des EAF 2020 :

- Pour la première partie de l’épreuve orale, nous recommandons que les candidats disposent d’un jeu de photocopies en double exemplaire pour chacun des textes susceptibles d’être l’objet de l’explication.

- Pour la seconde partie de l’épreuve orale, nous recommandons que les candidats puissent s’appuyer lors de leur prestation sur le livre qu’ils ont retenu et dont le titre figure sur le descriptif. Nous vous invitons à communiquer sur cette possibilité (et cette forte invitation) de sorte que les candidats soient nombreux à en disposer, mais qu’on ne puisse invalider l’épreuve si le candidat venait sans son livre. »

Nous sommes dans des abîmes de perplexité. Soucieux de ne pas dire n’importe quoi, de ne pas envoyer dans le maelström des réseaux sociaux des « fake news », les fonctionnaires éthiques, responsables et exemplaires que nous sommes sont un peu perdus quand l’institution de référence n’est pas d’accord avec elle-même. D’autant que ce n’est pas la première fois que l’EAF est ainsi « prise en otage » par d’étranges atermoiements. Il nous paraît souhaitable de rappeler qu’in fine, toutes ces informations, consignes, ordres sont reçues par des élèves qui vivent déjà la pression de l’examen.

Mise à jour le 16/11

Nous avons reçu une réponse du service de presse (après publication par le Café Pédagogique) :

En effet, à la suite d’échanges entre l’inspection générale et la DGESCO, il a été décidé que les candidats ne disposeraient pas de l’ouvrage dont ils parleront lors de la seconde partie de l’épreuve.  Telle qu’elle est composée, la seconde partie de l’EAF oral n’appelle pas l’utilisation et la manipulation de l’œuvre choisie par le candidat. Ce dernier, qui aura étudié et travaillé cette œuvre au cours de l’année scolaire, qui aura choisi de la présenter, peut tout à fait rendre compte de sa lecture personnelle, restituer en l’analysant son expérience de lecture sans se référer directement au texte de l’œuvre. En outre, l’entretien qui suit sa présentation n’a pas vocation à examiner un extrait spécifique de l’œuvre mais bien plutôt à inviter le candidat à approfondir sa réflexion et à justifier les motifs de son choix. Enfin, pour des raisons bien compréhensibles de prévention des éventuelles fraudes, il  convient d’éviter le recours à un ouvrage personnel en situation d’examen.

Nous le disons, nous trouvons cette réponse proprement hallucinée, nous n'aurions jamais imaginé qu'une telle langue de bois parviendrait jusque dans les modalités techniques d'organisation d'un examen.

Nous réitérons nos questions :

Aux "services juridiques" (qui est-ce ?) du ministère : Comment peut-on frauder à un entretien libre sur la réception d'une œuvre ?

A l'Inspection Générale de Lettres : comment parle-t-on d'un tableau sans le regarder ? D'une musique sans l'écouter ? D'un livre sans le lire ? (Hommage tout de même à Pierre Bayard) Comment, sauf à considérer Jean-Pierre Brisset comme le maître absolu en matière de pédagogie, apprendre à quelqu'un à nager hors de l'eau ?

Au cabinet du ministre : tenez-vous tant que ça à justifier le qualificatif d'absurdistan ?

Une réponse à “L’EAF au creux de l’abîme”

  1. Merci pour ce texte qui dit clairement les difficultés inextricables dans lesquelles nous nous retrouvons cette année. Réfléchir à propos des livres, mais sans livres, où allons-nous?

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