Comment la grammaire se vit-elle dans nos classes ? (1)

Il en est qui considèrent que l’enseignement de la grammaire doit être strictement descendant, magistral et impressionnant, avec le souci du technicisme et de la norme figée et inaltérable. Le ministre Blanquer en fait partie avec, dernièrement, l’absurde volonté d’interdire officiellement l’usage de la langue inclusive !

Crédit Pixabay

Il en est, comme le collectif Lettres vives, qui pensent que l’enseignement de la grammaire doit suivre la vie et l’évolution de la langue, qu’il est mises en expériences et questionnements, libertés par rapport aux normes et aux contraintes, curiosité face aux langues.

Nos expériences en classe nous montrent l’extrême diversité de nos pratiques et la nécessité – la joie ! – à partir davantage des interrogations et relations des élèves à la langue que de cours plaqués et enfermants.

En voici quelques récits...

En guise d’introduction…(témoignage de Marie-Claude)

La phase qui piquait, nous la devions à Rousseau, dans l'incipit des Confessions :  "Je n'ai rien tu de mauvais, rien ajouté de bon "

Je savais bien que ce "tu" allait poser problème. J'avais prévu de construire à partir de l'inévitable confusion avec le pronom personnel pour rappeler les règles de formation des temps composés. Vraiment, j'étais prête à tout, et surtout à entendre un élève très sûr de son fait lever la main pour dire "C'est un pronom !" Et même un peu confiante, j'espérais qu'il y en aurait un ou une pour me dire qu'il s'agissait d'un pronom personnel. J'avais bien scénarisé ma séance afin de pouvoir travailler à partir de l'erreur, très confiante dans mon dispositif de remédiation grammaticale. 

Ce à quoi je ne m'attendais pas, c'est l'unique main levée, très sûre d'elle-même, du fond de la salle, de ce grand gaillard qui ne prenait jamais la parole. Heureuse, comblée, j'interrogeai cette main, débordante d'espoir et de foi pédagogique. 

La réponse tomba comme un couperet : "C'est un déterminant, Madame."

Jamais je ne pus en arriver cette heure-là à la formation des temps composés. Jamais je ne parvins, cette heure-là, à évoquer l'enjeu de l'aspect du verbe. Jamais. Je passais le reste de l'heure à essayer de convaincre le reste de ses camarades que ce mot n'était pas un déterminant, rien, mais alors vraiment rien à voir.

Je n'ai pas remercié Jean-Jacques sur ce coup-là. 

Première entrée – Partir des apports des élèves

On part souvent des manques des élèves, pour souligner ce qu’elles et ils ne savent pas, ne maîtrisent pas bien.

On part assez peu de ce qu’elles et ils savent déjà. Et pourtant...

Dans une classe de lycée (Marlène)

Au fil du Rouge et le Noir, 5 séances d'écoute de la fiction radiophonique.

Après quelques minutes d'écoute, on discute de ce qu'on a entendu, de ce qu'on peut mettre en relation avec les fils déjà tirés précédemment, on prend des notes au verso d'un polycopié qui comporte déjà quelques éléments destinés à guider l'écoute. Au verso, un extrait du Rouge et le Noir tiré du passage écouté, avec des interlignes larges. La consigne pour ce verso est toujours la même : choisissez la phrase que vous voulez et proposez un commentaire grammatical. Cet exercice achève parfois la séance si l'échange après écoute a tourné court et dans tous les cas, il est possible de s'en emparer durant le temps individualisé hebdomadaire. Si un·e élève l'a choisi c'est l'occasion pour moi d'entrer en dialogue avec elle ou lui et de voir s'il ou elle souhaite approfondir ce qu'il/elle a commencé là. Les pistes et les entrées sont variées : certain·es choisissent la grammaire parce qu'ils/elles sont à l'aise et veulent exploiter leurs connaissances, d'autres parce qu'ils/elles ne veulent pas s'engager dans une autre tâche. On bricole avec ça et sur cette base, une fois par semaine lors des présentations, un·e élève est amené.e à présenter à la classe sa phrase et une notion , par exemple :

- la différence entre une préposition et une proposition

-subordination et coordination

- passage du discours direct au discours indirect : concordance des temps

On ne cherche pas forcément à tirer un sens littéraire de ces remarques dont la légèreté et l'aspect formel semblent reposer justement de la question du sens. Enfin, c'est comme ça que je l'interprète. 

Ce qu'il faut que j'améliore, je le sens, c'est la trace écrite de ce moment de présentations. Pour plus de clarté et pour faciliter les repère, le journal de cours qui rend compte de ce qui s'y déroule devrait comporter des rubriques qui se reproduiraient d'une séance à l'autre : le point de grammaire serait l'une de ces rubriques.

Dans une classe de CM1-CM2 (Arthur)

Quand on fait de la grammaire, notamment des CM2 qui ont déjà globalement fait le programme de cycle 3 en CM1, ce qui est frappant, c'est que ça semble être un désordre total dans leur tête. Des notions floues mobilisées de manière plus ou moins exacte, parfois au hasard, parfois assez justement... Notamment chez les élèves les plus en difficultés, ils connaissent les mots de la grammaire, mais ce qu'ils désignent, c'est toujours assez vague, fait de représentations souvent trompeuses (comme le "tu"  du récit de Marie-Claude, ne définit-on pas souvent en CP et CE1 le déterminant comme un "petit mot" ?).

Les élèves ont plein de concepts pour analyser la langue, mais ne semblent pas trop avoir compris à quoi ils servent. Bref, je me suis dit un jour que ce serait pas mal d'expliciter un peu ce que c'est que de faire de l'analyse grammaticale. Donc, déjà, j'ai commencé à utiliser ce mot : analyse. Quand on souligne le sujet et encadre le verbe en rouge, on analyse la phrase. On cherche à comprendre comment elle fonctionne

Mais si on veut comprendre comment elle fonctionne, on peut pas se permettre d'analyser chaque constituant séparément. Trouver des compléments circonstanciels, c'est pas mal pour s’entraîner, mais ça a pas beaucoup de sens si on n'analyse pas le reste de la phrase (si tant est que cela est du sens pour les élèves).

Armé de ces réflexions, je me suis lancé un matin. J'ai demandé aux élèves de lister "tous les mots de la grammaire", "tous les mots qui nous permettent de faire de la grammaire". Ils ont plutôt bien compris ce dont je voulais parler : c'est une petite habitude quand je veux que les élèves utilisent des concepts spécifiques aux disciplines ("peux-tu le reformuler dans la langue des mathématiques" "dans la langue de la grammaire"...). On s'est donc trouver avec une grande liste, et forcément, une liste, on la classe, on l'ordonne. Mes élèves savent que l'outil très efficace pour classer, c'est le tableau, et c'est parti.

Le résultat est à l'image de leur perception de la grammaire. Cette activité était en soi intéressante pour ça. Ils ont produit une image assez intéressante de leur compréhension. Souvent apparaît une colonne "nature", mais jamais de colonne "fonction". Certains élèves tentent de rassembler ce qui a un rapport avec le verbe. D'autres mettent ensemble les compléments... Collectivement, on redresse un peu tout cela avec notamment deux belles colonnes "nature" et "fonction". 

- " Mais on a dit que la grammaire, ça servait à mieux comprendre comment était construite une phrase. Alors, comment on utilise tout ce qu'on a vu ?"

Progressivement, on a tenté de faire de l'analyse qu'avec les natures, puis qu'avec les fonctions, et enfin avec les deux. On a reconstruit une légende pour l'analyse grammaticale ensemble (les natures coloriées en différentes couleurs, les fonctions soulignées et encadrées). Finalement, rien de révolutionnaire, mais reconstruire tout le système de la grammaire scolaire avec les élèves, ça permettait de remettre les choses à plat. Par exemple, que chaque mot a une nature, et que chaque mot / groupe de mots a une fonction dans la phrase.

Donc maintenant, la consigne elle est simple : "Analyse grammaticale". Et on analyse la phrase. Le souci, c'est que cognitivement c'est difficile de tout analyser tout le temps. Si il y a plusieurs phrases, il manque toujours un élément. Cependant, depuis que nous avons fait cette "mise à plat", j'ai moins l'impression d'avancer dans quelque chose de vague. La grammaire, dans notre classe, ça fait système. Et au fur et à mesure, des automatismes se créent.

N’hésitez pas à ajouter vos récits de pratiques en commentaire ou à nous les soumettre sur contact@lettresvives.org pour publication sur le site !

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