Le collectif fait sa rentrée ! Quelques conseils aux néo-collègues

La première rentrée est souvent un grand événement, enthousiasmant et angoissant à la fois.

En tant que profs de Lettres, nous nous sommes permis quelques conseils pour accompagner et dédramatiser cette rentrée… et les suivantes !

Moi, prof de Lettres ? Conseils pour débuter dans l’enseignement des Lettres

Marie-Claude : Mon premier conseil, c'est de ne jamais perdre de vue (et ce n'est pas toujours simple !) pourquoi on a choisi d'enseigner cette matière chaude et vivante qu'est la littérature à des enfants et des adolescents. Pour ma part, parce que je pense que c'est un matériau essentiel pour nourrir une vie d'adulte dans toutes ses dimensions et parce que ça permet de se sentir moins seul.e face aux autres, avec ces questions essentielles que sont l'amour et la mort. Rien que ça. Alors oui, l'accord du participe passé ou les subtilités des positions possibles des narrateurs, c'est sans doute important mais, même là, il s'agit de venir affiner ce bel outil de l'être ensemble qu'est le langage. 

Françoise : Choisir de partager ce qu'on aime, ne pas oublier pourquoi on fait ce métier,  rencontrer les élèves en tant que lecteurs : j'aime bien les autobiographies de lecteurs pour démarrer l'année, d'ailleurs, pour prendre le pouls de la classe et montrer qu'on les prend comme ils sont. Montrer que les lettres sont une discipline créative, en proposant régulièrement des exercices d'invention. Et si notre but secret, c'était de former les écrivains, et donc la littérature, de demain ?

Marilyn : Nous avons l’habitude de déposer nos ressources sur un drive commun à toute l’équipe ; chacun pioche ou non. L’avantage de la dématérialisation, c’est qu’elle permet de travailler même avec des collègues qui exercent au bout du monde. Les systèmes de partage de ressources et forums se multiplient d’ailleurs avec des propositions parfois de grande qualité.

En lycée pour les 1ères (dans mon établissement), nous avons opté pour une liste de trois ou quatre lectures possibles pour chaque objet d’étude…une petite marge de liberté dans un programme très contraint. Je me souviens des formateurs qui nous disaient toujours que le plus difficile (et le plus nécessaire) était de savoir faire simple et en même temps d’être serein par rapport à notre maîtrise du savoir. Cela vaut pour toutes les disciplines d’ailleurs .

Marlène : Préserver ce qui rend curieuse, ce qui nous révèle dans notre sensibilité, hors référence, hors code, hors contexte, hors temporalité ou du moins en les conscientisant pour s'en délester un peu. Si toute personne peut être auteure de son travail, si la lecture est un acte émancipateur, comme l'écriture, alors les enseignant.es peuvent en faire, elles et eux aussi, l'expérience minuscule et énorme.

Juliette : Ne pas hésiter à fabriquer des séquences autour de thèmes et de textes qui nous intéressent nous, et que l'on a envie de partager, tout en s'adaptant au niveau des élèves bien sûr. Si on veut en faire des élèves des sujets lecteurs, mieux vaut leur montrer que le prof est aussi un sujet lecteur, non?

Jacqueline : Pour moi, une des choses à se dire assez rapidement, c'est qu'il faudrait, au maximum, s'astreindre à faire des séquences assez courtes. Quand on dit qu'on prévoit toujours trop, ce ne sont pas des mots en l'air ! Soit ça prend plus de temps, soit on se rend compte qu'on intercalerait bien un petit texte qui correspond aux questionnements qui ont émergé de la part des élèves, ou un point de langue dont on perçoit le besoin. "Prévoir" des séquences courtes permet d'avoir cette souplesse, cette possibilité d'ajuster le travail sans culpabiliser en se disant "j'ai pas le temps!!!" Mais bon, je l'avoue, même après vingt ans de carrière, je me fais encore avoir à m'embarquer dans des séquences à rallonge et je me dis encore régulièrement "j'ai pas le temps !!!" Deuxième conseil... ne pas oublier notre attachement pour la lecture, quelle qu'elle soit. Je le dis d'autant plus facilement que j'ai passé quelques années comme ça. Pris-es dans la préparation des cours, dans la didactique, dans la langue, ou dans tout autre chose, on peut avoir tendance à se dire (encore!) "j'ai pas le temps !!!" Or, un livre dans le sac, pour quelques minutes de pause dans la journée, même la récréation si on en a envie, ça peut faire du bien. Un livre – hors programme – posé sur le bureau, ça peut aussi déclencher des discussions avec les élèves, et c'est tout de même bien chouette !

Moi, prof ? Conseils généraux pour débuter dans l’enseignement

Marie-Claude : UN SEUL CONSEIL : une classe, c'est comme un navire en mer : tout le monde rame dans la même direction et, pour que ça marche, il faut un capitaine. Le capitaine, c'est toi. Et c'est le fait d'en être profondément convaincu.e qui sécurise les élèves. Donc, quand tu doutes que tu es le capitaine, agis toujours très exactement comme si tu n'en doutais pas. 

Françoise : Bosser sérieusement : pas de secret, les élèves reconnaissent les profs qui se donnent du mal pour eux. On sous-estime beau coup tout ce qui est travail de planification dans ce métier, et rapport au temps de l'année qui passe, alors qu'il est essentiel : montrer aux élèves qu'on sait où on veut aller dans une séquence, quels objectifs on va atteindre en quelques semaines, pour quel type d'évaluation: voilà qui vaut n'importe quelle manifestation d'autorité spectaculaire.

Croire très fort à l'aspect créatif de son métier sans se laisser atteindre par l'image médiatique ou ministérielle qui en est donnée.

Marilyn : il me semble que l’on peut se sentir très vite débordé (c’est un sentiment qui m’habite malgré les années). Quand on commence surtout, on a parfois tendance à construire au fur et à mesure alors qu’il me semble que construire la totalité des séances en amont est assez efficace pour éviter ce sentiment. Communiquer des « calendriers » aux élève a aussi quelque chose de rassurant pour eux : on leur donne des perspectives en indiquant que des aménagements sont envisageables.

La transversalité pédagogique ! Il y a plein de bonnes idées à adapter ensuite à notre discipline et les réseaux sociaux peuvent être de merveilleux alliés.

Malgré le cadre des programmes, les projets du type sortie, réalisation filmique, concours de lapbook, escape game… permettent souvent de motiver et de créer et/ou renforcer le lien avec les élèves. En plagiant Rousseau, on ne perd pas de temps, on en gagne !

Les affichages en classe sont de précieux supports.

Les élèves ont souvent besoin de rappel méthodo ( apprendre à apprendre, s’organiser dans le travail perso …) Les élèves sont, à quelques exceptions, des personnes curieuses et agréables. En cas de désordre dans la classe, ne pas « monter dans les aigus »; ( j’ai quelques noms en tête)…Au contraire même, jouer avec son silence. Ne pas gérer un éventuel conflit à chaud.

Marlène : Être prête aux paradoxes :  se sécuriser en prenant des risques, s'appuyer à des faiblesses, oser très modestement, mesurer les cadres pour s'en libérer, se préparer à accueillir l'imprévu, écouter et se taire pour agir, se sentir seule et avancer ensemble et réciproquement.…

Juliette : Économiser son énergie dès que possible, pour la mettre là où l'on en a besoin (personnellement, c'est en classe que je dois me dépenser le plus) : l'année scolaire demande de l'endurance. Donc on s'autorise à recycler une séquence, à prendre la séquence d'un collègue et à l'adapter, à ne pas tout évaluer à l'écrit tout le temps.

Jacqueline : C'est une réflexion qui concerne le travail en équipe (large, pas seulement en Lettres). Quitte à paraître un peu radicale ou pas très sympa, je dirais que si vous n'arrivez pas à bosser avec tout le monde, ce n'est pas grave. Vous allez vite vous rendre compte qu'il y a des collègues qui cherchent à en imposer, à imposer leur manière de faire - en particulier aux néo -, et d'autres qui sont stimulant-es, enthousiasmant-es, qui esquissent des pistes en vous laissant votre liberté. J'ai tendance à m'en rendre compte, pour ma part, au sortir d'une conversation : si la conversation me laisse un arrière-goût de fin du monde éducatif (les élèves sont nul-les) ou de culpabilisation (je me sens une piètre prof), je sais que ce sont des personnes dont je ne vais pas me rapprocher (ce qui n'empêche pas d'entretenir des relations professionnelles cordiales, évidemment). Si au contraire, je sors de la discussion avec le sourire, avec des idées et l'envie de faire des choses, je sais que ce sont des collègues avec qui je vais avoir envie de travailler. Et, faut-il le préciser, il y a un tas de collègues qui n'entrent pas particulièrement dans l'une de ces deux cases et qui sont super chouettes!

Dédramatisons ! Des conseils ou des anecdotes amusantes pour dédramatiser l’entrée dans le métier.

Marie-Claude : Un jour, tu te retrouveras face à tes élèves SANS RIEN : tu ne retrouveras plus ta préparation, tu auras pris en salle des profs un cartable identique au tien mais contenant des cours de maths (c'est du vécu !), tu auras pris la mauvaise pochette dans ton casier, le réseau aura planté et tu n'auras plus accès à ton diaporama... Ce jour-là, respire un bon coup, fais confiance à tout le travail préparatoire entre tes deux oreilles, et fonce : ça peut être une des meilleures heures de cours de ton année parce que tu vas, ce jour-là, nécessité faisant loi, laisser plus de liberté aux élèves et ça se passera sans doute très bien.

Par contre, après cette heure de cours-là, tu seras TRÈS TRÈS fatigué.e ! Et tu n'auras plus jamais peur de l'imprévu. 

Françoise : C'est un très grand avantage d'être jeune, auprès des jeunes : énorme atout séduction dont il faut profiter. J'ai récemment été contactée par une ancienne élève, qui m'avait eue comme prof la première année où j'étais prof au lycée, à 26 ans, après trois ans de collège, en 1996. Elle se souvenait parfaitement de sa première heure de cours avec moi. J'avais voulu faire mon dragon le jour de la rentrée, et ça les avait fait rire, surtout qu'elle et sa voisine trouvaient que j'avais l'air "plouc" à cause de mes ballerines plates et de mon ombre à paupière bleu-clair. Elles avaient gloussé, et j'avais viré dans le couloir sa meilleure amie, Marie-Claire. Pourtant, je ne vire jamais d'élèves, moi ! Je n'en revenais pas de l'avoir fait à mes débuts. En tout cas, ce n'est pas comme ça que j'ai "gagné" mes élèves, mais plus ensuite, quand j'ai essayé de leur transmettre des textes que j'aimais. D'ailleurs 20 ans après, l'élève en question avait toujours dans sa bibliothèque la pièce Rodogune entièrement photocopiée (car à l'époque elle n'existait plus en petits classiques) et agrafée par mes soins, que je leur avais donnée cette année-là. 

Marilyn : J’avais, il y a des années en arrière, un tee-shirt avec coutures apparentes. A la fin du cours, une de mes élève s vient me voir et me dit avec beaucoup de délicatesse que j’avais dû mettre mon tee shirt à l’envers. Je me souviens alors que j’avais trouvé la classe assez distraite ce jour-là…L’incident s’est réglé en un éclat de rire et …la semaine qui a suivi, quelques uns de mes élèves sont arrivés avec un peu de retard et un gros bouquet de fleurs (les élèves avaient organisé une collecte entre eux). Notre métier nous permet de vivre des moments humains extraordinaires. 

Marlène : Voici qui éclairera peut-être quelques épisodes à venir en classe.
Cet été, la maison est peuplée de jeunes adultes dont certains fraîchement sortis du lycée. Ils lancent "titre" dans la conversation et m'expliquent : cela signifie qu'une personne vient de prononcer  une phrase qui prend à son insu un double sens, paillard bien évidemment.
Du coup, je participe au jeu et me lance à moi-même "titre" lorsque les mots dépassent ma première et toujours innocente pensée. Et voilà que soudain me vient à l'esprit la rentrée imminente en classe de BTS...il y a urgence à reprendre mes habitudes langagières de prof : "parler le moins possible"...! Un complément vraiment anecdotique, cette fois. Dans une vie antérieure, j'enseignais le latin en collège. Mes tentatives pour animer un cours d'histoire romaine en classe de 3ème me dépitaient avant même d'avoir commencé. Une fois lancée, je m'exclame : "Et César a la Gaule ! et César a la Gaule !" Même pas besoin de "titre" à l'anecdote, la moitié de la classe a explosé de rire tandis que l'autre répétait en boucle "ben quoi ? ben quoi ?". Il m'est arrivé  de raconter ça en BTS, histoire de mettre un terme au grand jeu de me faire rougir (pas difficile, ce jeu).

Jacqueline : Pour le sourire : mon année de stage, mon corps était tellement tendu qu'un jour, en parlant devant ma classe de 2nde mains appuyées sur le bureau, une jambe tendue devant moi, j'ai tellement appuyé avec ma jambe que, bim ! mon talon s'est cassé et je suis rentrée en RER en clopinant! :-)))

Quelques conseils bibliographiques

Jeanne : la revue Dialogue et les ouvrages du GFEN, qui traitent des pratiques en toutes disciplines et les analyses qui en éclairent les buts, pourraient outiller de nombreux collègues, jeunes et moins jeunes, toujours avides de tenter des changements émancipateurs pour les élèves comme pour les enseignants qui les tentent.

Françoise : La lecture ça ne sert à rien ! de B. Shawki Milcent

Le documentaire "Je dis donc je suis" avec notre collègue Mathilde Lesvesque qui est une chouette figure d'enseignante, qui donne envie.

https://www.francetvinfo.fr/societe/education/video-je-dis-donc-je-suis-en-seine-saint-denis-une-prof-de-francais-developpe-l-eloquence-de-ses-eleves_3197331.html

Marie-Claude : Un livre qui m'a donné envie d'enseigner le français : Daniel Pennac, Comme un roman. Un autre qui m'a redonné le goût d'inventer quand je l'avais un peu égaré : Philippe Meirieu, Lettre à un jeune professeur. Ce sont les deux livres que j'avais offerts à ma stagiaire à la fin de son année de stage. (Par ailleurs, je souscris aux autres recommandations )

Jacqueline : Alors, pas directement en rapport avec l'enseignement des Lettres... - 

Développer la pratique réflexive, de Philippe Perrenoud : dès l’année de stage, j'ai pris l'habitude de revenir sur mes pratiques, par moi-même, par le retour que je demandais aux élèves, parfois avec des collègues, et ça s'est avéré salutaire! Habitude que j'ai toujours... - 

Dictionnaire de la pédagogie Freinet : à parcourir selon les entrées qui vous intéressent (cahier d'écrivain / conseil / rituel, etc.). C'est une mine d'idées et de réflexions.

- Et puis les revues pédagogiques! J'ai une préférences pour les revues pédagogiques et militantes comme N'autre école / Le Nouvel éducateur (Éduc’Freinet aujourd’hui) / ou encore TRACeS de ChanGements.

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