Et si on écrivait sur les murs de la classe ? (suite et fin)

Résumé des deux épisodes précédents : un texte libre qui fait surgir le débat en 6e, sur les « trucs de filles » et les « trucs de garçons », sur les difficultés à être une fille. Une envie de faire dialoguer les élèves de toutes mes classes (6e, 5e, 3e). Un mur vide dans la salle. Voilà comment est né le mur des débats et comment il a pris vie grâce aux échanges entre les élèves, qui partagent leurs expériences, réfléchissent à leur quotidien pour le faire évoluer.

Liens pour les lire :

- épisode 1

- épisode 2

J’irai un peu plus vite dans les récits d’expérience, car il y aurait encore beaucoup à dire, et la saison consacrée au mur des débats prend fin...

En voyant les affiches du premier débat décrochées, les 3e m’ont rappelé que c’était « leur tour » de proposer un sujet. Je leur ai donc demandé d’y réfléchir et de faire des propositions quelques jours plus tard – suspense insoutenable pour les 6e qui avaient lancé le premier débat et attendaient avec impatience le suivant !

Quatre propositions ont été faites, à partir desquelles nous avons voté. La question retenue est la suivante (de nouveau double, étrangement) : « Pensez-vous que nous sommes dépendant·es face à la technologie ? Un jour, cela représentera-t-il un danger ? »

Après un court moment de bouderie de la part d’un groupe dont le thème n’avait pas été retenu, les élèves ont débattu pendant environ trente minutes, de manière sereine et constructive, en respectant la parole des autres. Ensuite, elles et ils ont de nouveau pris possession du mur.

D’emblée, les arguments m’ont paru plus fouillés, plus précis également, et très personnels. Parce que le thème était plus proche des préoccupations des élèves de 3e ? Parce que cela venait de la classe et qu’il y avait comme un défi à montrer une certaine qualité argumentative aux autres élèves ? Ou encore parce que les élèves se savaient en désaccord sur le sujet et avaient à cœur d’être convaincant·es ? Des motivations diffuses, insaisissables, mais qui ont permis de rendre les échanges très riches et constructifs.

En effet, dans leurs propos, les élèves faisaient la distinction entre technologies vitales et technologies de confort, parlaient de progrès, de risques pour la santé, de cyber-harcèlement, ou encore de relations sociales et familiales ambivalentes, entre rapprochement et éloignement.

Si, au début, internet et les téléphones portables étaient l’objet de toutes les attentions, à partir des écrits de quelques-un·es, les élèves ont fait le lien entre technologie et recherche médicale, découvertes scientifiques, mais également entre nouvelles technologies et capitalisme, certain·es affirmant qu’il s’agissait d’abord, pour les créateurs et créatrices des réseaux sociaux, de rapprocher les gens et d’autres qu’il s’agissait au contraire de faire un maximum de profit. Tout cela a permis d’élargir la perspective et la réflexion de manière très intéressante et inattendue.

Avant de faire la synthèse, étant donné ce qui était ressorti des échanges, j’ai souhaité apporter d’autres éclairages, en montrant aux élèves deux vidéos : une émission sur l’addiction aux nouvelles technologies et une intervention de Arjun Appadurai, anthropologue américain de la mondialisation, évoquant les liens ambivalents entre nouvelles technologies et évolution des comportements. Les deux vidéos ont interpellé les élèves, les ont parfois mis·es mal à l’aise surtout en questionnant leur comportement et leur vision de la société et des relations interpersonnelles. Cela leur a permis d’enrichir et d’approfondir encore leur réflexion.

Plus tard, la synthèse du débat opérée par les 3e a pris une forme inattendue. Je pensais reproduire le même fonctionnement qu’avec les 6e, mais spontanément, les élèves ont souhaité faire de cette reprise du débat mural une sorte d’entraînement au sujet de réflexion du brevet, en tout cas pour la structure argumentative. Bien sûr, j’ai accepté la proposition et nous nous sommes lancés dans l’écriture collaborative d’une rédaction type brevet (avec les références littéraires en moins mais, dans le cadre d’un travail de plus longue haleine, cela aurait été tout à fait possible).

De nouveau, cette synthèse a été distribuée aux trois classes participant au débat et lue par les élèves.

Pour le dernier débat mural de l’année, c’était aux 5e de proposer un sujet. Cette fois, j’ai pris soin de noter les différentes questions proposées par les élèves, dans lesquelles on pourra aisément retrouver des échos des mobilisations sociales de l’année, telles qu’elles ont été reçues par les jeunes, à travers les médias, les discours des adultes ou conversations dans la cour :

- Pensez-vous qu’il y aura une guerre civile ?

- Pensez-vous que les jeux vidéos nous rendent associables et méchants ?

- Les réseaux sociaux font-ils changer les jeunes, les influencent-ils ?

- Croyez-vous que la technologie arrêtera un jour parce qu’elle est trop dangereuse ?

- Pensez-vous que l’être humain a besoin des énergies non renouvelables ? Pourrait-on les remplacer ?

- Pensez-vous que le harcèlement est dangereux ?

A côté des questions liées aux « thématiques Éducation nationale » comme le harcèlement, ou liées aux préoccupations des jeunes comme les jeux vidéos ou les réseaux sociaux, on peut ainsi voir apparaître les gilets jaunes ou les lycéen·nes manifestant pour le climat, comme l’ont précisé les élèves lorsqu’ils et elles ont expliqué leurs propositions à la classe.

Après un vote, c’est la question sur les réseaux sociaux qui a été retenue.

Mais, il faut bien l’avouer, cette fois, le débat n’a pas pris. Thématique trop proche de la précédente ? Fin d’année ? Lassitude pour le procédé ? Manque de dynamisme pour la classe à l’origine du débat ? Peut-être un peu de tout cela.

Mais cela ne m’empêchera pas de poursuivre l’expérience l’année prochaine, si les élèves sont partant·es, car elle reste riche en enseignements pour les jeunes comme pour moi.

Le temps de la réflexion

Dans les épisodes 1 et 2, j’ai souligné l’intérêt de permettre aux élèves de différents âges d’échanger, de débattre d’une question qui leur tient à cœur, de partager leurs expériences, forcément différentes, et de se bousculer mutuellement dans leurs croyances et leurs repères. Le tout, pour qu’ils et elles prennent conscience de la possibilité de contester des valeurs souvent héritées, socialement construites, afin de les faire bouger et de comprendre, aussi, qu’elles et ils ont le pouvoir de faire évoluer leur environnement et, par là, la société.

Ce qui m’a également paru intéressant dans cette manière de fonctionner, c’est que les élèves puissent prendre du temps pour approfondir et éclaircir leur réflexion. À chaque fois, il y a eu 3 à 4 semaines d’échanges et de réflexion régulière, de confrontations, de remises en question, de doutes et d’observation de l’environnement proche, parfois plus lointain, pour partir de situations concrètes, souvent problématiques, où il ne s’agit plus de donner « la » bonne réponse ou de répéter les quelques poncifs attendus par les profs, les adultes ou la société, mais où il s’agit de se frotter à la complexité de la pensée qui ne peut être ni uniforme, ni absolue, ni dogmatique. Participer à un débat autrement qu’avec des jugements hâtivement formulés, se poser des questions qui en appellent encore d’autres pour aller toujours plus loin dans la réflexion, se mettre à la place des autres, également, et aborder une problématique avec de multiples points de vue, de multiples entrées, voilà un des éléments importants dans cette démarche.

Le temps long, si difficile à obtenir en particulier dans le secondaire, me paraît en effet toujours préférable pour aborder de manière critique et complexe les questions de société ou de valeurs, plutôt que quelques heures intensives, trop souvent majoritairement constituées du discours très lissé des adultes, et trop vite oubliées des jeunes. On peut trouver ici un écho dans la méthode naturelle de Freinet, où « un moment didactique ne vaut que très peu par lui-même, il ne prend toute son ampleur que dans ses prolongements indéfinis et intriqués dans la durée » (1), que cette durée soit d’un mois, d’une année, ou plus.

Partir de l’expérience des jeunes pour la changer

Que ce soit chez Freire ou chez Elise et Célestin Freinet, l’expérience vécue par les apprenant·es est centrale et sert souvent de point de départ aux apprentissages plus structurés et/ou à une prise de conscience des situations d’oppression avec, si possible, la volonté de les faire disparaître peu à peu. À cela s’ajoute le rejet, ou tout au moins la disparition, de la relation verticale entre l’enseignant·e et les élèves, que ce soit par la pédagogie coopérative chez les Freinet ou par le dialogue chez Freire (2).

De fait, dans le débat mural, nous avons pu voir que l’expérience vécue est spontanément convoquée par les jeunes et mise en relation avec les questions débattues. Certain·es diront que c’est attendu dans une pratique argumentative, que de partir de la réalité. Mais on pourrait y voir autre chose que du conventionnel, ou du scolastique comme dirait Freinet :

- le partage des expériences de vie et par là, la création d’une compréhension mutuelle et d’une solidarité authentique entre les élèves, ainsi que d’une culture de (la) classe (Freinet) : la vie apportée par les élèves via leurs souvenirs ou leurs préoccupations, les habitudes de dialogue, de prise de parole, de recherche réflexive et d’argumentation...

- l’expérience vécue ne sert en effet pas simplement à illustrer, mais sert de point d’ancrage aux questionnements des jeunes, puis à leur volonté de construire une autre réalité. Lors de ces débats, nous avons pu voir des élèves prendre l’initiative de dialoguer avec leurs proches ou bien pour que la répartition des tâches ménagères soit plus juste (débat mural 1), ou bien pour renouer un lien, une communication au sein de la famille, trop accaparée par les jeux, téléphones portables ou autres nouvelles technologies trop souvent délétères pour les relations interpersonnelles lorsqu’elles ne sont pas pensées dans leur utilisation (débat mural 2 : un élève a émis le souhait que chaque membre de sa famille sorte de sa bulle technologique et, pour arriver à être entendu de sa mère, il a dû… lui envoyer un sms car elle restait fermée à ses autres tentatives de dialogue. Ensuite, a eu lieu une réunion familiale sur le sujet).

Ainsi, avec les auteurs et autrices du dictionnaire de la pédagogie Freinet, « on peut considérer la classe comme un système ouvert en interaction avec son environnement et capable d’accueillir des évènements dans l’incertitude. L’évènement donne lieu à un processus d’apprentissage qui évolue de manière non linéaire, avec ses fluctuations (implication du désir plus ou moins importante), ses bifurcations (changement de thème ou d’orientation à l’entretien du matin, dans un débat, une présentation, un texte libre, une recherche mathématique…), ses émergences (créations dans toutes les disciplines). Fluctuations, bifurcations, émergences rétroagissent sur le milieu ». (1)

Penser et s’approprier l’espace

Avec le débat mural, l’espace de la classe prend une autre dimension et s’ouvre à d’autres possibilités.

Souvent, on constate un phénomène similaire concernant l’utilisation des murs dans les salles de classe :

- des outils pédagogiques pour favoriser les apprentissages ou les productions ;

- des affichages par projet (par classe, souvent) à partir d’un thème donné

- des citations, posters… choisis par les enseignant·es ou offerts par les élèves.

En somme, des affichages qui ont du sens sur le plan pédagogique, il est vrai, mais avec peu d’espace commun pour les différentes classes qui fréquentent pourtant la même salle.

(Ne parlons même pas des affichages obligatoires, imposés par le ministère (charte de la laïcité, drapeaux français et européen), qui n’ont de sens que pour les faiseurs·euses de loi et dont les élèves ne se saisissent absolument pas.)

Avec le mur des débats, la volonté était aussi de sortir de ces espaces cloisonnés, réservés à telle ou telle classe : on communique, on échange, on prend conscience de la présence de l’autre en-dehors de sa classe, de l’autre plus âgé·e, moins âgé·e, des expériences et des réflexions différentes, également, mais aussi des préoccupations communes.

La salle prend vie, devient un espace commun, partagé, un espace d’échange possible dans lequel on entre avec des attentes, et avec de l’envie (Est-ce que j’ai une réponse ? Est-ce qu’un argument va me toucher, m’énerver, faire écho en moi ?…)

Quelles suites pour la pratique du débat mural ?

J’ai conscience qu’il y a encore des choses à revoir dans cette pratique, à améliorer, à réorienter, des écueils à surmonter, en particulier liés au cloisonnement propre au second degré (cloisonnement des salles, cloisonnement des disciplines et parfois même des pratiques).

>>> Une salle ? Non, des salles !

Tout d’abord, bien sûr, chaque enseignant·e ne dispose pas d’une salle où accueillir les élèves. Comment faire dans ce cas ?

Des collègues du collectif Lettres vives ont évoqué la possibilité de travailler via l’outil informatique, les écritures collaboratives par exemple. C’est une solution, même si l’on perd l’aspect « facile », simple et spontané, ainsi que la visibilité du débat mural où tout est à disposition, à portée d’yeux et de feutre.

Une autre possibilité serait d’utiliser des grandes feuilles (cartonnées pour moins les abîmer) sur laquelle seraient collées les idées de chacun·e et que l’on pourrait rouler pour les transporter de salle en salle.

Une collège travaillant en Ulis, dans une salle très petite, m’avait également parlé d’un portant à vêtements à roulettes qu’elle avait recyclé avec des cintres à pinces pour épingler les exposés des élèves et les ranger de manière à ce que cela prenne moins de place, tout en conservant l’aspect facile et rapide. C’est également une possibilité.

Personnellement, j’aurais tendance à privilégier les solutions permettant de laisser toute sa visibilité et sa spontanéité au débat mural en classe.

>>> Quand le débat ne prend pas :

Cette année, parce que je tâtonnais dans cette expérimentation, j’ai beaucoup misé sur la spontanéité des élèves, notamment en 6e et 3e, où les jeunes avaient ce désir et cette curiosité de débattre et de questionner leur univers.

Or, avec les 5e, je me suis bien rappelé que cette spontanéité n’est pas une constante dans les classes et qu’il faudra imaginer des techniques pour l’éveiller (la réveiller!), prévoir des démarches qui rassureraient aussi les élèves car se lancer dans l’expression d’idées personnelles de manière « publique » n’est évidemment pas chose aisée.

Pour impliquer les autres classes, on pourrait par exemple travailler avec plus de rigueur, et d’emblée, sur la question posée : déblayer le champ sémantique, les notions (rigueur conceptuelle et lexicale), en faire un résumé pour lancer la discussion et donner des idées aux autres élèves.

Ou partir d’un cas problématique, d’une situation interpellante pour provoquer des réactions (par exemple les parents qui ne décrochent pas de leur téléphone au point que leur enfant a dû envoyer un sms à sa mère pour que celle-ci prenne conscience de sa fermeture et vienne lui parler).

Ou encore partir d’un texte d’autrice ou d’auteur qui se serait questionné·e sur ce sujet, pour voir que certaines préoccupations dépassent le cadre de l’établissement.

>>> Pour que la classe s’ouvre :

Si des échanges se sont amorcés entre les 6e, 5e et 3e, il faut bien avouer qu’ils sont restés écrits, que nous n’avons pas réussi à franchir les murs invisibles de la division par classe et que les autres adultes fréquentant la salle ne se sont pas emparé du procédé.

Que pourrions-nous imaginer pour donner plus d’ampleur à ces échanges ?

Quelques semaines avant la fin des cours, deux surveillantes sont entrées dans la salle, comme à leur habitude, pour relever quelques carnets et prendre le billet d’appel. Mais cette fois, en se retournant pour partir, elles ont été arrêtées par le mur des débats, ont pris quelques secondes pour l’observer et se sont retournées vers moi pour me dire que c’était une bonne idée, ce que les élèves ont confirmé avec leur bel enthousiasme. Je leur ai dit qu’elles pouvaient tout à fait y participer si elles le souhaitaient, mais ça s’est arrêté là, forcément, car une simple proposition énoncée à la va-vite n’est pas suffisante.

Sans doute y aurait-il des démarches à faire auprès des adultes, surveillant·es, agent·es d’entretien, enseignant·es, pour leur expliquer la démarche, les amener à consulter le mur des débats et, le cas échéant, à y participer et/ou à en parler avec les élèves sur les temps de récréation, de cantine ou de permanence ou dans d’autres cours.

De même, il serait vraiment intéressant de permettre aux élèves de se rencontrer et d’échanger de visu, bien qu’elles et ils n’appartiennent pas à la même classe. Plusieurs démarches sont envisageables :

- si le travail en équipe d’adultes le permet, organiser une rencontre entre deux classes (davantage me paraît peu faisable, ne serait-ce qu’en terme d’espace) une fois le débat mural bien avancé, afin que les échanges se fassent « en vrai » ! Là, un travail à 50 élèves étant difficile, des groupes inter-âges peuvent être constitués.

- on peut aussi imaginer que, dans la classe qui a lancé le sujet du débat, 3 ou 4 élèves soient volontaires pour dialoguer directement avec les 6e, 3-4 autres avec les 5e… Elles et ils pourraient résumer leurs positions, expliciter les désaccords internes à leur classe, demander leur avis à l’autre classe...

- enfin, si vraiment les emplois du temps et/ou le travail en équipe ne permettent pas de vraies rencontres, on peut aussi faire des vidéos des séances de travail pour les montrer aux autres classes, ce qui serait également intéressant à analyser.

>>> Comment commencer ?

Il y a plein de possibilités pour amorcer le débat mural : saisir les moments de tension, de désaccord entre les élèves, sur un sujet de société par exemple, et l’exploiter dans le cadre d’un débat mural. Cela peut être à partir d’un texte étudié en classe, d’un texte libre écrit par un·e élève, d’un événement qui se produit dans la cour, d’un souvenir de week-end partagé le lundi...

Je pense toutefois qu’il vaut mieux privilégier ce qui vient des élèves, d’une situation authentique, et non pas les sujets de débat apportés et imposés par la prof.

Pour cela, prêter attention à la parole des élèves, à leurs préoccupations, à leurs expériences quotidiennes et connaître leur situation personnelle, savoir comment et ce qu’elles et ils vivent… C’est à partir de ce vécu que les échanges pourront être, je pense, les plus dynamiques, construits et investis par les élèves.

Encore faut-il accepter de considérer les jeunes autrement que comme des cerveaux à remplir, anonymes et fonctionnant tous de la même manière, qui déposeraient leur vie devant le portail de l’établissement, pour apprendre, sans qu’aucun facteur extérieur ne vienne troubler la religieuse atmosphère de travail.

>>> Pour que le débat mural ne soit qu’un début :

Au cours des trois débats muraux de cette année, même si la réflexion a été parfois poussée et toujours intéressante, j’ai eu l’impression de survoler les thèmes abordés, de laisser des choses en suspens et parfois même de laisser passer des approximations en terme de savoirs, de concepts, n’ayant pas le temps de revenir sur tout (et de faire les recherches qui s’imposaient).

Il serait bon qu’une dynamique d’équipe puisse être créée autour des thèmes abordés dans les débats muraux : les collègues de SVT, de sciences physique ou de technologie auraient largement pu nourrir les échanges et lever les ambiguïtés lexicales ou conceptuelles ; les collègues d’arts plastiques ou de langue auraient pu élargir les champs de la réflexion à d’autres domaines, d’autres continents…

Avoir le réflexe - et le temps, toujours le temps ! - de solliciter les collègues est un défi de tous les jours pour les praticien·nes que nous sommes.

Enfin, il me paraît important que le débat mural ne constitue pas une fin en lui-même, mais soit l’amorce d’une dynamique de recherche et de réflexion, d’une habitude pour les jeunes.

Par exemple, pour les élèves qui sont frustré·es parce que leur proposition de débat n’a pas été retenue, peut-être peut-on leur proposer de faire des recherches sur le sujet, d’en présenter ensuite les résultats, en les problématisant et en donnant leur point de vue, pour des échanges d’une heure ou deux ?

De même, nous pourrions travailler en collaboration avec la ou le professeur·e documentaliste et préparer, avec les élèves, une sélection de livres et de magazines intéressants sur le sujet de débat retenus.

>>> Approfondir sa réflexion, sa connaissance critique du monde :

Nous pourrions aussi faire en sorte que cette pratique, basée cette année sur la spontanéité et le partage d’expériences, soit plus nourrie et critique, et dépasse « la compréhension naïve du monde ». (4)

C’est tout le rôle de l’enseignant·e que de réfléchir aux apports théoriques dont il peut nourrir l’expérience apportée par les jeunes : quels concepts, quels textes d’autrices ou d’auteurs, quelles pratiques artistiques… pourraient nourrir le sujet et la réflexion, sans pour autant, je le redis, imposer une manière de penser. Au contraire, multiplier les points de vue et les sources (formes d’art, pays d’origine des artistes, documentaires…) me semble plus propice à faire toucher la complexité de la pensée et du monde.

Paulo Freire dira assurément mieux que moi cette nécessité d’aller au-delà de l’expérience vécue : « Par exemple, quand j’insiste sur le fait que l’éducation dialogique part de la compréhension que les élèves ont de leurs expériences quotidiennes, que ce soit des élèves de l’université ou des enfants du premier degré, ou des ouvriers dans un quartier urbain, ou des paysans de l’intérieur, mon insistance à commencer en partant de sa description de sa propre expérience de vie quotidienne se base sur la possibilité de commencer à partir du concret, du sens commun, pour parvenir à une compréhension rigoureuse de la réalité. […] L’éducateur libérateur éclairera la réalité même avec des exposés de cours. La question, c’est celle du contenu et du dynamisme de la classe, la manière dont l’objet à connaître est abordé. Est-ce que l’enseignant oriente les étudiants pour une société de type critique ? Est-ce qu’il stimule la pensée critique ou non ? » (4)

Des perspectives enthousiasmantes, donc, pour faire vivre le débat mural dans et hors les classes !

Surtout, si vous avez des idées/suggestions/remarques, n’hésitez pas à laisser des commentaires !

Jacqueline Triguel

(1) « Méthode naturelle », in Dictionnaire de la pédagogie Freinet, Laboratoire de Recherche Coopérative de l’Icem-Pédagogie Freinet, ESF sciences humaines, 2018.

(2) Sur Freire, voir l’article publié par Irène Pereira sur le site du collectif svt-égalité, « Paulo Freire : un pédagogue face à l’injustice sociale »

(3) Sur la scolastique dans les exercices argumentatifs : certes, s’il y a nécessité à savoir structurer un raisonnement, utiliser les outils mis à disposition dans la langue pour formuler avec justesse et nuance sa pensée, quelle nécessité y a-t-il à suivre un plan déterminé à l’avance – toujours le même d’ailleurs –, à exiger tel nombre d’arguments ou d’exemples dans une dissertation type lycée, voire fin de collège ?

A trop enfermer la réflexion dans une forme, n’assèche-t-on pas la libre expression des élèves ? Ceux-ci et celles-ci consacrent-ils/elles plus de temps au respect de la forme, de l’expression formelle, qu’à l’expression argumentative, à la recherche des idées ? Une question à mûrir et à avoir en tête, il me semble, lorsqu’on aborde l’argumentation avec les élèves.

(4) Freire et Shor, Medo e Ousiadas, cités par Irène Pereira.

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