Le cabinet de curiosités, un partage de cultures

Claire Tastet est professeure de Lettres en lycée. Durant le 1er confinement, elle et ses élèves ont créé un cabinet de curiosités, avec joie et enthousiasme ! Sans doute une des pistes possibles pour le travail en demi-groupes en œuvre actuellement dans les lycées. Nous sommes revenues sur cette pratique avec Claire.

Un cabinet de curiosités dans l'enseignement des Lettres… pourquoi, et comment ?

Le cabinet de curiosité a été réalisé dans le cadre de la spécialité Humanité Littérature & Philosophie en Première. Nous étions en plein confinement et nous étudiions les récits des grands voyageurs dans le cadre des « Représentations du monde de la Renaissance au Siècle des Lumières ». Une des trois problématiques proposées dans cet objet d'étude s'intitule "décrire, figurer, imaginer".  Lors de la classe en ligne, un des élèves a fait remarquer le côté paradoxal de la situation : nous évoquions de grands voyageurs, des pays lointains alors que nous étions coincés dans nos habitations respectives et que l’on ne pouvait même pas aller jusqu’à notre salle de classe ! Le manuel de la classe (éditions Nathan) proposait une initiation aux cabinets de curiosité ; m’est alors venue l’idée d’en construire un de manière collaborative.

Pendant le 1er confinement, tous et toutes, nous avons été confronté·es à la difficulté de garder un lien avec et entre les élèves. Dans quelle mesure la création d'un cabinet de curiosités a-t-elle permis de surmonter cet écueil ?

J’ai donc demandé aux élèves de choisir deux objets qu’ils possédaient et qu’ils estimaient dignes d’avoir leur place dans un tel cabinet. Ils avaient pour mission de prendre des photos de ces objets et de les partager dans le cours en ligne. Grâce au forum de la classe dans le cours en ligne, les élèves se sont interrogés sur la fonction voire l’identification de certains objets. Ils ont donc conversé entre eux, ces objets ont piqué leur curiosité et ont permis d’entretenir des échanges entre élèves en dehors de la classe en ligne. Je leur ai demandé, dans un deuxième temps, d’écrire un texte explicatif pour chacun des objets choisis.

Quels ont été les retours des élèves, de leurs proches, ou même des collègues sur cette expérience ?

Les élèves ont pris du plaisir à échanger et à construire ce cabinet de curiosité. Je n’ai eu aucun retour des parents et fort peu de mes collègues mais cela a eu beaucoup de succès auprès des collègues sur Twitter (une collègue m’a même demandé si elle pouvait faire la même chose, je n’étais évidemment pas propriétaire de l’idée !). Ma collègue de Philosophie avec qui j’enseigne cette spécialité et la CPE chargée du niveau Première ont toutes les deux participé à ce cabinet de curiosité.

Est-ce que ça a fait bouger des choses dans ta manière d'enseigner et/ou de concevoir ta discipline ?

J’aime beaucoup faire des projets collaboratifs que ce soit en Français ou en HLP. Cette idée qu’ensemble, on peut construire quelque chose de « grand » me plaît et j’essaie d’être dans une telle démarche aussi souvent que possible. Cela n’a fait que renforcer cette pratique pédagogique. Le dernier objet choisi pour le cabinet est un clin d’œil à ce travail collaboratif.

On entend souvent que les élèves n'ont pas de culture et/ou que tout doit rester à la porte de la classe pour ne pas parasiter les apprentissages... Le cabinet de curiosités prend le contrepied de ces postures. Alors, culture littéraire, culture académique, culture des jeunes : quelles relations pour toi?

Cette question est difficile ! Je ne crois pas du tout que la culture personnelle de chacun doive rester à la porte de la classe car c’est tout simplement impossible. Moi-même, je ne laisse pas ma culture à la porte de la classe !

Chaque famille a sa culture ; l’absence de culture, ça n’existe pas, tout simplement parce que la culture est une construction sociale !

Le cabinet de curiosité souligne cela, justement : la culture individuelle découle d’une histoire familiale. Il a permis de questionner les liens que l’on tisse avec son milieu, son lieu de vie, la manière dont on se l’approprie et la manière dont on s’approprie une histoire (l’objet choisi par Louise le montre bien). L’histoire personnelle s’inscrit dans l’histoire du monde comme en témoigne l’objet présenté par Victoire ou celui proposé par Madeleine, par exemple. La multiplicité des objets, la multiplicité des expériences vécues laissent paraître des disparités (économiques, notamment) mais aussi une grande unité dans ce qui a motivé le choix des objets : les élèves ont choisi des objets éloignés, exotiques souvent (témoignant ainsi de leur bonne compréhension des visées du cabinet de curiosités) mais aussi des objets qui ont une valeur affective forte, des objets transmis, offerts. Le vocabulaire employé s’en ressent parfois dans son caractère enfantin. Ce sont des objets qui sont des repères et qui jouent un rôle dans la construction de leur personnalité. Ce sont des objets qui permettent de passer d’une culture à l’autre.

Le cabinet de curiosités a été une manière de voyager chez soi, à l'intérieur de ses propres objets, et de voyager en soi. Je n’avais pas anticipé cet aspect : les élèves ont fait de cet exercice un exercice d’écriture de soi.

Le cabinet de curiosité, plébiscité au XVIIIème siècle, objet culturel des classes aisées de l’époque, s’est démocratisé dans cette pratique de classe mais n’a rien perdu de sa valeur humaniste !

On peut le consulter ici : https://view.genial.ly/5eb2a606b68c5b0da426c3dc/guide-le-cabinet-de-curiosites-des-eleves-dhlp

Une réponse à “Le cabinet de curiosités, un partage de cultures”