« Intégrer l’égalité dans les enseignements du second degré en lettres » : de quoi parle-t-on au juste ?

Lundi dernier, grâce à une recension du café pédagogique [1], nous avons découvert le dossier « intégrer l’égalité dans les enseignements du second degré en lettres »[2] proposé par Canopé et en libre accès sur le site.  Soulagé·es de voir enfin cet objectif de développement durable[3] inscrit dans les activités de notre discipline, nous avons rapidement déchanté à la lecture de son contenu et nous voudrions nous en expliquer ici. En effet, la plupart des séquences proposées envisagent la femme comme objet de discours. La femme y est donc un thème qui permet de construire des corpus de textes donnés à l’étude. Ainsi on pourra étudier, en classe de sixième, la problématique « être une femme » en s’appuyant sur les héroïnes des contes de Perrault et de Grimm, alors même que nous savons à quel point les élèves souffrent d’être enfermé·es dans des rôles genrés socialement et culturellement construits, où […]

Humanités, littérature et philosophie : un espace de liberté et d’émancipation

« Humanités, littérature et philosophie » : un enseignement plein de promesses. Quelques réflexions de Claire Tastet et Julien T.-Marsay, membres du collectif Lettres vives, qui enseignent cette discipline. 1-Pourquoi as-tu choisi (ou pas !) de prendre en charge cet enseignement ? Quelles envies, quels espoirs y mettais-tu ? Julien : Le choix a été conditionné par plusieurs facteurs. Primo, par une réalité toute prosaïque : les impératifs de la répartition de service. Deuxio, par un élan beaucoup plus idéologique : la facture du programme de français 1ère tronc commun qui induit un véritable rejet symbolique chez moi ! Je travaille énormément sur l’éclairage d’une autre Histoire littéraire que celle insufflée par la culture dite « légitime » : sur les autrices invisibilisées, sur les plumes décoloniales…. Dès lors, le programme du Bac français se pose comme l’antithèse de ma vision de la pédagogie des Lettres. Un programme orienté par cette histoire littéraire masculiniste héritée des jugements de Lanson […]

Le théâtre, le corps et l’émancipation — Entretien avec Nicolas Joray.

1. Tu enseignes le théâtre en Suisse, dans une « école de culture générale ». Peux-tu nous en dire plus sur le fonctionnement de ces écoles, en particulier à qui est destiné ou qui choisit de suivre le cours de théâtre? Il s’agit d’une école publique destinée aux adolescent·es qui sortent de l’école obligatoire, lorsqu’ils et elles ont 16 ans environ. La formation prépare à l’entrée dans des hautes écoles des domaines de la santé, du travail social ou des arts. On y dispense durant trois ou quatre ans une formation de culture générale. Mes élèves deviendront donc par exemple enseignant·es du degré primaire, infirmier·ères, artistes, éducateur·trices, ergothérapeutes. Cette formation se distingue donc du lycée, appelé également gymnase, qui ouvre les portes de l’université et qui est plus difficile d’accès. Cela fait dire à certain·es que l’école de culture générale accueille les élèves qui ne veulent pas suivre un apprentissage professionnel mais […]

Le temps de lire

Qu’est-ce que le quart d’heure de lecture ? Depuis quelques années, nous avons vu avec plaisir le quart d’heure de lecture entrer dans les établissements scolaires, surtout les écoles et les collèges. Il s’agit d’un temps dédié à la lecture, placé hebdomadairement ou quotidiennement, de 10 à 15 minutes de lecture dite libre. Si la pratique existait évidemment déjà dans quelques établissements qui n’ont pas attendu de mot d’ordre officiel pour mettre en place des temps de lecture, on ne peut nier que l’action de l’association Silence on lit ! a été pour beaucoup dans son développement (même si, j’y reviendrai, il y aurait beaucoup à dire sur les pratiques de cette association et la vision de la lecture qu’elle diffuse). En 2018, récupérant comme souvent les pratiques des personnels, le ministre Blanquer a adressé un courrier aux rectrices et aux recteurs pour faire la promotion du quart d’heure de lecture, si […]

Marcher sur la queue du chat

Cette élève qui s’est enfuie en courant et en pleurant de mon cours sur un extrait de Pauca Meae de Hugo, je ne l’ai jamais oubliée. Et ce petit jeune homme pourtant esprit fort, qui passa tout un cours sur Bérénice à pâlir graduellement sans que je comprenne pourquoi. Et au début de ma carrière, il y a eu aussi cet élève s’énervant subitement à la lecture d’un extrait de L’École des Femmes qui m’a laissé un souvenir impérissable. J’ai horreur de cela, je m’en veux toujours un peu de ne pas avoir su l’éviter. J’appelle cela marcher sur la queue du chat : un accident inévitable et contre lequel on ne peut pas grand-chose. La première venait de perdre sa grand-mère qui l’avait élevée et je n’en savais rien. Le second resta en fin d’heure pour m’expliquer que dans la vie, il était exactement dans la position d’Antiochus. Quant au […]

Une prolétarisation de l’enseignement de la lecture ?

Une dystopie ? Imaginons un pays qui régulièrement évaluerait les savoirs et les connaissances de ses enfants et confronterait ces évaluations à d’autres pays imaginaires. Imaginons que l’émancipation l’alphab(ê)tisation collective soit son seul objectif, afin que chacun puisse lire, écrire et comprendre le minimum pour travailler et consommer. A la vue des résultats internationaux, et dans cette optique, il n’y parvient pas. Alors, il regroupe en urgence son cercle rapproché de chercheurs et de scientifiques. Leurs missions : quantifier, évaluer, modifier et construire une méthode infaillible qui permette à tou·te·s de lire et d’écrire, le minimum. Tous les utopistes sont écartés et contraints de se taire. La méthode infaillible voit le jour rapidement faisant fi de tous les protocoles qui garantissaient autrefois l’éthique de toute recherche. Un peu comme s’il avait fallu trouver un vaccin pour combattre rapidement une pandémie. Ici, le vaccin ressemble à une Méthode de lecture idéale, identique pour […]

Comment j’ai appris la mort de Maradonna

Une séance de textes libres mercredi matin 26 novembre. Arthur sèche et joue avec son stylo._ « Tu joues avec ton stylo, Arthur, tu aimes jouer ?_ Oui, à la playstation._ Tu as écrit en début d’année que tu aimais le rap, c’est aussi un jeu, avec les mots. Si tu veux, écris et répéte trois fois « je joue » et tu parles ensuite de ces trois sortes de jeu. 10 minutes plus tard, je repasse par là ; la première strophe est écrite._ « Je n’ai pas fait ce que vous avez dit, j’ai écrit autre chose. »_  » C’est encore mieux. Ha tiens, Maradona, c’est un vieux joueur, ça. J’ai un documentaire sur lui, il faudra que je te le passe si tu veux. Il est encore connu ? A. les yeux ronds :  » Il est mort hier »…..Ecouter les infos tous les jours, on a dit….._ Je l’apprends avec ton texte. Merci. […]

Le cabinet de curiosités, un partage de cultures

Claire Tastet est professeure de Lettres en lycée. Durant le 1er confinement, elle et ses élèves ont créé un cabinet de curiosités, avec joie et enthousiasme ! Sans doute une des pistes possibles pour le travail en demi-groupes en œuvre actuellement dans les lycées. Nous sommes revenues sur cette pratique avec Claire. Un cabinet de curiosités dans l’enseignement des Lettres… pourquoi, et comment ? Le cabinet de curiosité a été réalisé dans le cadre de la spécialité Humanité Littérature & Philosophie en Première. Nous étions en plein confinement et nous étudiions les récits des grands voyageurs dans le cadre des « Représentations du monde de la Renaissance au Siècle des Lumières ». Une des trois problématiques proposées dans cet objet d’étude s’intitule « décrire, figurer, imaginer ».  Lors de la classe en ligne, un des élèves a fait remarquer le côté paradoxal de la situation : nous évoquions de grands voyageurs, des pays lointains alors que nous […]

Redressons et rééduquons nos regards avec Iris Brey

Dans l’Histoire du cinéma, le male gaze est le regard majoritaire : il filme le corps comme un objet et non comme un sujet. C’est ce regard vertical qui, dès nos premiers coups d’œil à l’écran, nous a influencé·es sur notre façon de regarder les femmes, et donc de les considérer dans le monde. Ou plutôt nous a invité·es à justement ne pas les considérer voire à les déconsidérer, car il y a là enjeu de pouvoir : celui d’un regard de dominant, tout patriarcal. Le female gaze, lui, est le regard minoritaire. C’est ce regard horizontal qui saisit un sujet et non plus un objet. Le regard féminin, une révolution à l’écran, le livre d’Iris Brey se conclut sur la nécessité de « redresser nos regards » et, à Lettres Vives et Questions de classe(s), nous ne saurions que trop être d’accord. Redresser nos regards qui, depuis les débuts de l’Histoire du […]

L’EAF au creux de l’abîme

Il y a quelque temps le collectif a vu remonter, depuis plusieurs académies, des messages des corps d’inspection annonçant que les livres ne seraient pas autorisés pour la deuxième partie de l’épreuve. Voici quelques extraits : « L’Inspection générale nous a informés qu’un arbitrage juridique a été rendu concernant la possibilité du candidat d’apporter l’œuvre choisie pour la seconde partie de l’oral des EAF : du fait des risques de fraude, le candidat ne peut disposer, pour la première comme pour la deuxième partie de l’oral, que des documents mentionnés dans le texte réglementaire, à l’exclusion de tout ouvrage. Les arguments pédagogiques ont été présentés mais la question est désormais tranchée : le candidat n’est pas autorisé à se présenter à l’oral avec l’ouvrage qu’il a choisi de présenter. (Académie de Rennes) » « Afin de vous accompagner au mieux dans le cadre de votre enseignement et dans la préparation des élèves aux épreuves […]